C’est un séisme politique qui vient de secouer le Finistère. Lors des élections européennes du 9 juin dernier, le Rassemblement National (RN) de Jordan Bardella est arrivé en tête dans tous les départements de Bretagne, une première pour cette région historiquement europhile et modérée. Avec 25% des voix, la liste RN devance nettement ses concurrentes dans le Finistère. Comment expliquer un tel basculement ?
Un vote sanction contre Emmanuel Macron
Dans les bars et les foyers du Finistère, le ressentiment envers le président de la République est palpable. Beaucoup lui reprochent sa politique jugée « déconnectée » des réalités et son « mépris » pour les classes populaires et moyennes.
« Il faut que Macron dégage, quel paquet de conneries ce qu’il nous fait ! »
– Un quinquagénaire dans un bar de Plouguin
Pour de nombreux électeurs, voter RN était avant tout un moyen d’exprimer leur ras-le-bol et leur colère contre le gouvernement en place. Un vote protestataire plus qu’une réelle adhésion au programme de Jordan Bardella.
La tentation du vote utile
Face à Emmanuel Macron et sa majorité, beaucoup considèrent que seul le RN représente une opposition crédible et capable de l’emporter. Les autres partis, de LR à la NUPES, sont perçus comme trop faibles ou divisés.
« On a déjà essayé les autres, ça n’a jamais marché. Alors pourquoi pas le RN pour changer les choses ! »
– Une jeune mère de famille de Brest
Si l’idée d’une victoire du RN aux législatives de 2024 semble encore improbable au niveau national, ces électeurs finistériens y croient dur comme fer localement. Et les alliances en discussion entre la droite traditionnelle et l’extrême-droite pourraient changer la donne.
Un parti qui a su lisser son image
Sous l’impulsion de Marine Le Pen puis de Jordan Bardella, le RN s’est employé ces dernières années à normaliser et crédibiliser son image. Exit les dérapages racistes ou les sorties europhobes, place à un discours policé centré sur le pouvoir d’achat et l’insécurité du quotidien.
« Ils ont l’air moins extrêmes qu’avant, plus sérieux et près de nos préoccupations. »
– Un retraité de Quimper
Cette nouvelle stratégie semble payer, y compris dans des zones au profil sociologique a priori peu favorable comme le Finistère. Mais derrière les sourires et les costumes-cravates, l’ADN idéologique du parti n’a pas fondamentalement changé pour les observateurs.
L’inquiétude de la classe politique locale
Les élus bretons, toutes tendances confondues, affichent leur stupeur et leur préoccupation face à la poussée du RN. Beaucoup craignent que ces européennes ne soient qu’un avant-goût d’une vague brune bien plus puissante aux législatives de 2024.
Certains appellent déjà à un sursaut républicain et à un front commun des forces démocratiques pour endiguer la montée de l’extrême-droite. Mais les divisions au sein de la gauche et de la droite rendent l’équation compliquée.
Seule certitude : après avoir longtemps résisté aux sirènes lepénistes, le Finistère n’apparaît plus comme un bastion inexpugnable. Le séisme du 9 juin aura-t-il des répliques ? Réponse dans deux ans.