La chute récente du régime de Bachar al-Assad en Syrie a ouvert un nouveau chapitre géopolitique au Moyen-Orient, avec la Turquie d’Erdogan qui s’impose comme le grand gagnant de ce bouleversement. En l’espace d’une semaine, Ankara a considérablement renforcé son influence régionale, de la Syrie à la Corne de l’Afrique. Une ascension fulgurante qui soulève des interrogations sur les ambitions de la puissance turque.
La Turquie, nouveau faiseur de rois en Syrie
Si la Turquie n’est pas intervenue militairement pour renverser Assad, elle a néanmoins soutenu activement les rebelles syriens, en particulier le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), issu d’Al-Qaïda. Désormais aux commandes à Damas, HTS confère à Ankara un statut d’interlocuteur incontournable alors que la communauté internationale s’inquiète du passé sulfureux de ces nouveaux dirigeants.
Les liens étroits entre Ankara et HTS, savamment mis en scène via une rencontre entre le chef du renseignement turc et le dirigeant de HTS quelques jours après sa prise de pouvoir, démontrent qu’Erdogan avait anticipé ce changement de régime. Une stratégie payante sur le long terme selon les experts.
Erdogan joue sur le long terme. La Turquie a soigneusement cultivé des relations avec des acteurs étatiques et non-étatiques pour maximiser son influence dans son arrière-cour et au-delà.
Anthony Skinner, directeur chez Marlow Global
Vers un retrait des Kurdes du Nord syrien ?
Avec la Russie embourbée en Ukraine et l’Iran affaibli, Erdogan a les mains libres pour étendre son emprise en Syrie. Un de ses objectifs prioritaires sera probablement d’éliminer la menace du PKK dans le Nord syrien, près de la frontière turque.
Depuis 2016, la Turquie a mené plusieurs offensives en Syrie contre les Unités de protection du peuple kurde (YPG), considérées par Ankara comme une extension du PKK. Un retrait américain, envisagé par Donald Trump, affaiblirait encore les combattants kurdes et ferait le jeu d’Erdogan.
Dans cette nouvelle ère, l’organisation terroriste PKK/YPG disparaîtra tôt ou tard de Syrie. Le nouveau gouvernement syrien le souhaite autant que nous.
Hakan Fidan, ministre turc des Affaires étrangères
Ankara, médiateur régional en vue
Le rôle croissant de la Turquie ne se limite pas à la Syrie. Dans la foulée de la chute d’Assad, Erdogan a réussi un autre exploit diplomatique en négociant un accord entre l’Éthiopie et la Somalie. Une prouesse saluée par les observateurs :
La Turquie est en théorie bien placée pour servir de médiateur entre l’Ukraine et la Russie, étant donné sa capacité à parler à la fois à Kiev et à Moscou. Erdogan connaît incontestablement son heure de gloire.
Hamish Kinnear, analyste chez Verisk Maplecroft
Même si la Russie juge peu probable une médiation turque dans le conflit ukrainien, force est de constater qu’Ankara se positionne de plus en plus comme un acteur diplomatique de premier plan, capable d’intervenir des Balkans au Moyen-Orient.
Les défis de l’ambition turque
Si l’influence grandissante de la Turquie lui offre de nouvelles opportunités, elle comporte aussi des risques. En jouant sur plusieurs tableaux, Ankara s’expose à des tensions avec ses alliés traditionnels, notamment les États-Unis et l’Europe.
De plus, la politique étrangère assertive d’Erdogan suscite des inquiétudes chez certains de ses voisins qui craignent les visées expansionnistes de la Turquie. Enfin, en s’appuyant sur des groupes controversés comme HTS, Ankara prend le risque d’être associée à leurs exactions.
Malgré ces écueils, une chose est sûre : la Turquie d’Erdogan entend bien peser de tout son poids dans le nouvel échiquier moyen-oriental post-Assad. Une ambition qui ne manquera pas de susciter des remous dans une région en pleine recomposition.
