C’est un tournant géopolitique majeur qui s’est déroulé dans l’ombre des négociations diplomatiques. Vendredi, le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan a révélé comment son pays avait réussi à convaincre la Russie et l’Iran de laisser le champ libre aux rebelles syriens, permettant le renversement express de Bachar al-Assad après 11 ans de guerre civile.
« La chose la plus importante à faire était de parler aux Russes et aux Iraniens et d’être sûr qu’ils n’entreraient pas militairement dans l’équation », a déclaré Fidan à la chaîne turque NTV. Moscou et Téhéran, alliés de longue date du régime Assad, avaient initialement proposé une intervention pour contenir l’offensive rebelle lancée le 27 novembre.
Un effondrement inattendu qui change la donne
Mais d’après le chef de la diplomatie turque, la Russie et l’Iran ont finalement été pris de court par l’ampleur et la rapidité de l’effondrement des forces d’Assad. « Ils ont vu que ça n’avait plus aucun sens. L’homme dans lequel ils ont investi n’est pas un homme à investir », a-t-il souligné, ajoutant que le contexte international n’était plus favorable à un soutien au dictateur syrien.
La Russie, enlisée dans la guerre en Ukraine, et l’Iran, dont les supplétifs comme le Hezbollah libanais subissaient de lourdes pertes face à Israël, n’avaient plus les moyens de voler au secours de Damas. Un concours de circonstances dont la Turquie, qui exerce une influence considérable dans le nord-ouest de la Syrie, a su tirer parti.
Les défis d’une Syrie post-Assad
La chute du régime Assad le 11 décembre, après 11 jours d’offensive rebelle, ouvre cependant une période d’incertitude. Le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), dominant au sein de la coalition anti-Assad, suscite l’inquiétude de nombreux pays qui le considèrent comme une organisation terroriste liée à Al-Qaïda.
Personne ne les connaît aussi bien que nous, nous voulons une Syrie sans terrorisme qui ne représente pas une menace pour les pays de la région.
Hakan Fidan, ministre turc des Affaires étrangères
La Turquie, qui a des lignes de communication ouvertes avec le HTS, assure leur faire passer un message clair. « Nous leur disons : la Turquie qui vous soutient depuis des années, ainsi que le monde, attend ceci de vous. Notre devoir et leur épreuve est de répondre à ces préoccupations », a affirmé M. Fidan.
Un pari turc risqué mais calculé
Pour Ankara, qui accueille déjà 3,6 millions de réfugiés syriens, une stabilisation rapide de son voisin du sud est cruciale. Mais miser sur un groupe sulfureux comme le HTS représente un pari risqué, même si la Turquie semble confiante dans sa capacité à les garder sous contrôle.
Les prochains mois seront décisifs pour juger si la manœuvre turque, qui a déjà obligé Moscou et Téhéran à jeter l’éponge en Syrie, portera ses fruits. La communauté internationale sera particulièrement attentive aux gages que le nouveau pouvoir à Damas donnera en termes de modération, de pluralisme et de respect des droits.
Une nouvelle ère géopolitique au Moyen-Orient
Au-delà de la Syrie, c’est tout l’équilibre géopolitique régional qui est chamboulé par ce changement de régime express. La Russie et l’Iran voient leur influence rognée, tandis que la Turquie s’impose comme un acteur incontournable dans la gestion des crises.
Reste à voir comment évoluera la relation entre Ankara et Damas version HTS, et quel impact cela aura sur les nombreux défis auxquels la Syrie fait face : reconstruction, retour des réfugiés et réconciliation d’un pays meurtri par plus d’une décennie de guerre fratricide. Une nouvelle page s’ouvre, mais son contenu est encore largement à écrire.