À quelques semaines des élections présidentielles tunisiennes, un constat s’impose : le président sortant Kaïs Saïed semble avoir verrouillé le scrutin en sa faveur. Entre réformes controversées du code électoral et une justice aux ordres, le paysage politique tunisien apparaît plus que jamais sous la coupe du chef de l’État. Une situation qui soulève de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir de la jeune démocratie tunisienne.
Un code électoral sur mesure pour Kaïs Saïed
Depuis son accession au pouvoir en 2019, Kaïs Saïed n’a eu de cesse de remodeler les institutions tunisiennes à son avantage. Sa dernière réforme en date : un nouveau code électoral, édicté par décret présidentiel, qui semble taillé pour éliminer toute concurrence sérieuse. Parmi les mesures les plus contestées, on trouve :
- Un parrainage citoyen drastique, nécessitant la signature de 200 000 électeurs pour valider une candidature, contre seulement 10 000 auparavant.
- L’interdiction des partis politiques de présenter ou de soutenir un candidat, les obligeant à rester neutres.
- Un contrôle accru des candidatures par des institutions judiciaires notoirement acquises à la cause présidentielle.
Ces nouvelles règles du jeu ont eu un effet dévastateur sur le champ des prétendants à la magistrature suprême. Sur les 108 candidats qui s’étaient déclarés au 31 juillet, date limite de dépôt des dossiers, à peine une poignée devrait être autorisée à concourir au scrutin du 6 octobre. Face à eux, Kaïs Saïed a soumis sa candidature accompagnée d’un nombre record de 200 000 parrainages, quand 10 000 auraient suffi.
Une justice aux ordres qui fait le tri
Outre un code électoral sur mesure, le président sortant peut compter sur le soutien sans faille d’une justice à sa botte. Ces derniers mois, les poursuites se sont multipliées à l’encontre de personnalités politiques, hommes d’affaires ou journalistes susceptibles de le concurrencer ou de s’opposer à lui. Des procédures souvent expéditives et opaques, sur fond d’accusations de corruption ou de «complot contre la sûreté de l’État».
On revit en partie la même horreur que sous Ben Ali, avec une justice aux ordres qui élimine méthodiquement les rivaux politiques.
Un opposant tunisien
Parmi les victimes les plus emblématiques de cette chasse aux sorcières : Rached Ghannouchi, leader du parti d’inspiration islamiste Ennahda, incarcéré fin juillet. Son arrestation a décapité la principale force d’opposition au président Saïed, à quelques semaines d’échéances électorales cruciales. D’autres ténors comme Nabil Karoui, rival malheureux de Kaïs Saïed au second tour de la présidentielle de 2019, croupissent également en prison.
Des dérives autocratiques qui inquiètent
Alors que la Tunisie approche de rendez-vous électoraux décisifs, les dérives autoritaires du président Kaïs Saïed soulèvent une vague d’inquiétudes, dans le pays comme à l’international. Nombreux sont ceux qui redoutent de voir la «success story» démocratique tunisienne, seul pays rescapé des Printemps arabes, sombrer dans une nouvelle dictature.
Des craintes légitimes au vu de la tournure des événements. Mais dans une Tunisie exsangue, minée par une crise économique et sociale sans précédent, la priorité de nombreux citoyens semble ailleurs. Beaucoup placent encore leurs espoirs dans un président Kaïs Saïed qui avait été élu en 2019 sur la promesse de «rendre le pouvoir au peuple». Reste à savoir si ce pouvoir ne sera pas confisqué par un seul homme.