Nouveau coup de théâtre dans la guerre en Syrie qui n’en finit plus. En l’espace d’une semaine, une vaste offensive de rebelles islamistes a balayé les forces du régime de Bachar el-Assad dans le nord et le centre du pays. Parties de leur bastion d’Idleb, les troupes du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, ont repris le contrôle de la ville d’Alep en un éclair, avant de s’emparer de Hama plus au sud. Elles ne sont plus qu’à quelques dizaines de kilomètres de Homs, verrou stratégique sur la route de Damas.
Une fragilité du régime qui surprend
Cette avancée fulgurante des rebelles islamistes a pris tout le monde de court, à commencer par le régime syrien lui-même. Depuis la reprise d’Alep fin 2016, Bachar el-Assad avait réussi, avec l’appui crucial de la Russie et de l’Iran, à mater la rébellion et à reconquérir la majeure partie du territoire. Seule la poche d’Idleb, tenue par HTC, lui résistait encore. Mais personne ne s’attendait à ce que les djihadistes parviennent à lancer une offensive d’une telle ampleur.
L’effondrement des lignes gouvernementales témoigne de la fragilité persistante du régime malgré ses victoires. Affaibli par des années de guerre, miné par la corruption et les désertions, il semble incapable de défendre ses positions face à un ennemi déterminé et bien organisé. Selon une source proche du dossier :
Le moral des troupes est au plus bas. Beaucoup ne croient plus en la victoire et n’ont plus envie de se battre. Face aux assauts des rebelles, des unités entières prennent la fuite ou se rendent sans combattre.
Vers une partition de facto de la Syrie ?
Si le verrou de Homs devait sauter, la route de Damas serait grande ouverte pour les rebelles. Un scénario cauchemardesque pour Bachar el-Assad qui pourrait bien sonner le glas de son régime. La Syrie, déjà dévastée par une décennie de guerre, risquerait alors de sombrer dans le chaos le plus total.
Mais même si les forces loyalistes parvenaient à stopper l’avancée rebelle, le pays semble de toute façon promis à une partition de facto entre :
- Les zones tenues par le régime, essentiellement la façade méditerranéenne et les grandes villes
- Les régions aux mains des djihadistes, qui contrôlent déjà la majeure partie de l’est et du nord
- Les territoires sous influence kurde, principalement le long de la frontière turque
Les ambitions troubles de la Turquie
La situation est encore compliquée par le rôle trouble joué par la Turquie. Officiellement opposée aux djihadistes, Ankara est soupçonnée de fermer les yeux, voire d’apporter un soutien discret aux rebelles afin d’affaiblir les Kurdes, sa bête noire. Avec le recul du régime, le président turc Erdogan pourrait être tenté d’en profiter pour pousser ses pions en Syrie et établir une zone tampon le long de sa frontière.
Pendant ce temps, les grandes puissances – États-Unis en tête – semblent une nouvelle fois prises de court par les événements et peinent à réagir. Enlisé dans ses propres crises et lassé par des années d’une guerre sans fin, l’Occident paraît résigné à laisser la Syrie à son triste sort. Seule la Russie, fidèle alliée de Damas, pourrait être tentée d’intervenir à nouveau pour sauver ce qui peut l’être du régime Assad. Mais à quel prix ?
Le retour en force des djihadistes
Car le grand gagnant de ce nouveau bouleversement est sans conteste Hayat Tahrir al-Cham. Héritier de la branche syrienne d’Al-Qaïda dont il s’est détaché officiellement, le groupe islamiste s’est imposé comme le fer de lance de la rébellion anti-Assad. Ses succès militaires spectaculaires lui confèrent une aura et une influence grandissantes, lui permettant de rallier de nombreux combattants.
Mais derrière sa rhétorique de façade, légèrement édulcorée pour séduire la population, HTC demeure un mouvement fondamentalement djihadiste, proche dans son idéologie des tristement célèbres Al-Qaïda et État Islamique. Son chef, Abou Mohammed al-Joulani, figure sur la liste noire des terroristes les plus recherchés par les États-Unis. Beaucoup craignent qu’une victoire des rebelles n’ouvre la voie à l’instauration d’un nouveau « califat » en Syrie, quelques années à peine après la chute de celui de l’EI en Irak.
Un drame humanitaire qui perdure
Au milieu de ces bouleversements géopolitiques, c’est une fois de plus la population civile qui paie le plus lourd tribut. Les combats ont jeté sur les routes des dizaines de milliers de nouveaux déplacés qui fuient les violences. Dans les villes changeant de main, les minorités, notamment chrétiennes, vivent dans la terreur des représailles et des persécutions.
Malgré quelques timides déclarations se voulant rassurantes, les nouveaux maîtres islamistes d’Alep inspirent la méfiance et la peur. La mémoire des exactions commises par les djihadistes lors de leur première prise de la ville en 2012-2013 est encore vive. Chacun redoute le retour des lois moyenâgeuses, des privations de liberté et de la chape de plomb imposée par l’obscurantisme religieux.
Une onde de choc régionale
Ce regain de tensions en Syrie risque en outre de déstabiliser un peu plus une région déjà en ébullition. Les répercussions se font déjà sentir au Liban voisin, où les affrontements ont repris entre le Hezbollah pro-iranien et les groupes rebelles. Des dizaines de milliers de réfugiés syriens fuient les combats pour tenter de regagner leur pays, au péril de leur vie.
Tout le fragile édifice des accords russo-turcs, qui avaient permis d’instaurer un calme précaire ces dernières années, menace de voler en éclats. Avec le risque d’un embrasement général qui pourrait emporter la région toute entière dans son sillage. Onze ans après le début du soulèvement contre Bachar el-Assad, le cauchemar syrien est plus que jamais d’actualité. Et nul ne peut prédire quand et comment il prendra fin.