Alors que les rebelles syriens, menés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), encerclent la capitale Damas, la Syrie semble au bord d’un changement majeur. Cette situation suscite des réactions mitigées chez les centaines de milliers de réfugiés syriens accueillis en Allemagne depuis le début du conflit en 2011. Entre espoir de voir le régime de Bachar al-Assad tomber et crainte de l’incertitude quant à l’avenir du pays, ils livrent leurs sentiments face à ce tournant décisif.
Un moment attendu mais source d’appréhension
Pour Anwar al-Bunni, avocat syrien réfugié à Berlin depuis 2014, l’offensive éclair des rebelles n’est pas une surprise. Cet ancien détenu des geôles du régime, qui documente depuis l’Allemagne les exactions commises en Syrie, estime que « le régime s’est déjà effondré de l’intérieur » et que le peuple syrien va « enfin obtenir la liberté ». Il se réjouit de voir le drapeau de la révolution flotter dans son bureau.
Cependant, tous ne partagent pas cet enthousiasme sans réserve. Tareq Alaows, ancien étudiant en droit à Damas arrivé en Allemagne en 2015, confie ressentir « un mélange de joie et de peur ». S’il reconnaît que « le peuple syrien a le droit de se réjouir de voir vaciller le régime après 50 ans de tyrannie », il s’inquiète de la nature des forces qui mènent l’insurrection :
On a une grande peur de ce qui vient, parce que ceux qui se battent actuellement ne sont pas exactement des organisations de défense des droits de l’homme.
Tareq Alaows, porte-parole de l’association Pro-Asyl
Le HTS, un groupe controversé à la tête des rebelles
En effet, le groupe Hayat Tahrir al-Sham, fer de lance de la rébellion, est classé comme organisation terroriste par l’ONU et plusieurs pays occidentaux en raison de son idéologie islamiste radicale. Cela suscite des interrogations quant à la nature du régime qui pourrait lui succéder en cas de victoire.
Malgré cela, certains veulent croire que les combattants du HTS sont avant tout « les enfants de la Syrie » qui se battent pour la liberté. C’est le cas de Seba, quadragénaire originaire d’Alep aujourd’hui aux mains des rebelles, pour qui « toutes ces années de souffrance étaient comme un couteau dans le cœur ». Arrivée à Berlin en 2014 après un passage au Liban, cette mère de famille rêve désormais de pouvoir retourner dans son pays pour « revoir ses amis ».
L’intégration en Allemagne, un défi relevé
Comme Seba, ils sont plus d’un million de Syriens à avoir trouvé refuge en Allemagne pour fuir la guerre. Une intégration qui ne s’est pas faite sans mal comme en témoigne la propriétaire d’une épicerie orientale berlinoise :
L’intégration en Allemagne a été très difficile, nous sommes partis de zéro. Mes enfants ont grandi ici, mon fils va à l’université l’année prochaine.
Seba, réfugiée syrienne à Berlin
Malgré les défis, beaucoup ont réussi à se construire une nouvelle vie, à l’image des enfants de Seba qui se sont parfaitement acclimatés à leur pays d’accueil. Mais l’actualité brûlante en Syrie ravive les souvenirs et les questionnements.
Quel avenir pour la Syrie ?
Si la chute du régime de Bachar al-Assad semble désormais possible, elle ne dissipe pas pour autant les incertitudes sur l’avenir de la Syrie. Pour Tareq Alaows, la communauté syrienne d’Allemagne a un rôle à jouer :
La tâche que nous avons en Allemagne, aussi bien en tant que communauté syrienne que population dans son ensemble, c’est d’être du côté des civils en Syrie.
Tareq Alaows, porte-parole de Pro-Asyl
Un soutien d’autant plus nécessaire que le HTS reste un mouvement aux contours flous. D’après Alaows, « on ne sait pas ce que cela signifierait s’il prenait le pouvoir ». Mais une chose est sûre selon lui : le peuple syrien « qui se bat contre Assad depuis si longtemps, n’acceptera pas une nouvelle dictature ».
Alors que le dénouement du conflit syrien semble proche, de nombreuses questions restent en suspens. Les aspirations à la liberté et à la dignité du peuple syrien, qui ont embrasé le pays il y a douze ans, pourront-elles enfin se concrétiser ? Quelle Syrie émergera des décombres de la guerre ? Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de ce pays meurtri mais toujours debout.
