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La sorcière : figure rebelle ou mythe féministe ?

Entre figure historique persécutée et symbole moderne d'émancipation, la sorcière ne cesse de fasciner. Mais ce mythe féministe est-il vraiment fidèle à la réalité des procès en sorcellerie ? Décryptage d'une icône aussi sulfureuse que...

Savante guérisseuse, femme indépendante et affranchie, ou encore incarnation de la résistance féminine… La sorcière est devenue ces dernières années une icône féministe célébrée, symbole d’une puissance féminine invaincue. Mais derrière ce mythe moderne aux accents émancipateurs, quelle est la réalité historique de ces femmes – et parfois hommes – accusés de sorcellerie et persécutés ?

La sorcière, une figure de la rébellion féminine ?

Dans l’imaginaire collectif contemporain, la sorcière incarne souvent une forme de résistance, voire de révolte face à l’ordre établi et à la domination masculine. Guérisseuse érudite, femme libérée et sexuellement émancipée, elle apparaît comme une figure subversive défiant les normes de son époque.

C’est la vision que développe notamment l’essayiste Mona Chollet dans son livre à succès “Sorcières. La puissance invaincue des femmes”. Pour elle, les femmes accusées de sorcellerie étaient avant tout coupables de s’être soustraites au contrôle des hommes et de la société.

La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations ; elle est un idéal vers lequel il faut tendre, elle montre la voie.

– Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes

Une relecture féministe de l’histoire

Cette réinterprétation de la figure de la sorcière comme archétype de la femme rebelle et insoumise n’est pas nouvelle. Dès le 19ème siècle, l’historien Jules Michelet fait de la sorcière le symbole de la résistance à l’oppression dans son essai “La Sorcière”.

Plus récemment, des autrices féministes comme Starhawk ou Barbara Ehrenreich ont vu dans les grandes chasses aux sorcières de la Renaissance une tentative de réprimer un pouvoir féminin menaçant l’hégémonie patriarcale. Guérisseuses, sages-femmes, femmes vivant en marge… Autant de figures d’une féminité dangereuse qu’il fallait éliminer.

La sorcière, une icône féministe moderne

Aujourd’hui, la sorcière est devenue un étendard brandit fièrement par de nombreuses féministes. Des manifestations aux défilés de mode en passant par la pop culture, son image s’affiche partout comme un symbole d’empouvoirement.

  • Aux États-Unis, des milliers de femmes se revendiquent “sorcières” et mènent des rituels publics contre Donald Trump
  • Dior ou Yves Saint-Laurent s’approprient l’esthétique sorcière dans leurs collections
  • Des séries comme “Les Nouvelles Aventures de Sabrina” mettent en scène des héroïnes sorcières, puissantes et indépendantes

Dans un monde encore largement dominé par les hommes, la sorcière apparaît pour beaucoup comme une figure inspirante de résistance et d’émancipation. Mais cette lecture féministe est-elle fidèle à la réalité historique ?

Chasses aux sorcières : au-delà du mythe féministe

Si l’image de la sorcière rebelle flatte nos imaginaires féministes contemporains, elle ne doit pas masquer la terrible réalité des chasses aux sorcières qui ont ensanglanté l’Europe de la Renaissance. Entre fantasmes et instrumentalisation, ces persécutions ont fait des dizaines de milliers de victimes, bien loin de l’archétype romantique.

Des procès loin d’être réservés aux femmes

Contrairement à une idée reçue tenace, les grands procès en sorcellerie des 16ème et 17ème siècles n’ont pas uniquement visé les femmes, loin de là. Selon les régions et les périodes, 15 à 30% des accusés étaient des hommes.

Certes moins représentés que les femmes, ils n’en étaient pas moins exposés aux accusations de sorcellerie, en particulier lorsqu’ils exerçaient des professions en marge de la société (bergers, forgerons…) ou présentaient un physique disgracieux.

La grande chasse aux marginaux

Plus qu’une persécution misogyne, les procès en sorcellerie apparaissent en réalité comme une gigantesque chasse aux marginaux, aux “déviants” en tout genre. Veuves, mendiants, fous, handicapés, homosexuels, non-conformistes… Tous ceux qui détonaient dans l’ordre moral et social étaient des cibles potentielles.

Dans une Europe en pleine crise, déchirée par les guerres et les épidémies, l’élimination des sorcières permettait de désigner des coupables et de resserrer le contrôle sur les populations. Une manière aussi pour les autorités d’asseoir leur pouvoir face aux particularismes locaux.

Les chasses aux sorcières ne relevaient pas d’une misogynie originaire qui aurait été propre à l’Occident. Elles étaient le produit d’une société en crise cherchant à tout prix à rétablir l’ordre.

– Silvia Federici, Caliban et la Sorcière

Une réalité bien éloignée de l’image romantique

Loin des figures glamour imaginées par nos féministes modernes, les femmes et les hommes accusés de sorcellerie étaient le plus souvent des personnes vulnérables issues des franges les plus pauvres et précaires de la société.

Vieilles femmes isolées, veuves sans ressources, mendiantes, handicapés physiques ou mentaux, homosexuels, indigents… Les victimes des chasses aux sorcières étaient avant tout les boucs-émissaires d’une société en crise cherchant à purger ses peurs sur ses membres les plus fragiles.

Déconstruire le mythe sans le dénigrer

Pointer les limites de la relecture féministe des chasses aux sorcières ne doit pas conduire à dénigrer l’importance de cette figure symbolique. Si la réalité historique est plus complexe, la sorcière n’en reste pas moins une puissante source d’inspiration pour penser l’émancipation et la résistance.

Son image, réinventée et sans cesse réinterprétée, témoigne de la nécessité de se réapproprier notre histoire pour imaginer de nouveaux possibles. Un processus essentiel pour faire bouger les lignes et ne pas rester prisonnières des vieux schémas.

Sorcières d’hier et d’aujourd’hui

Alors non, les femmes suppliciées durant la grande chasse aux sorcières n’étaient pas toutes de flamboyantes rebelles féministes. Mais leur tragique destin nous rappelle la violence que subissent encore celles et ceux qui refusent de rentrer dans le rang.

En ce sens, la figure de la sorcière, si elle est en partie fantasmée, n’a pas fini de nous inspirer. Des femmes condamnées pour sorcellerie au Moyen-Âge aux militantes écoféministes d’aujourd’hui, elle incarne cette part d’insoumission et de puissance qui sommeille en chacune de nous. Un héritage précieux à chérir et à faire fructifier.

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