Dans un nouveau tour de vis visant à museler toute forme d’opposition, les députés russes ont adopté mercredi en première lecture une loi interdisant aux individus et organisations classés comme “agents de l’étranger” d’utiliser en Russie les revenus tirés de leurs activités culturelles ou intellectuelles. Cette mesure controversée s’inscrit dans un contexte de répression accrue des voix dissidentes, en particulier depuis le début de l’offensive militaire russe en Ukraine en février 2022.
Un statut infamant et de lourdes contraintes
Le statut d'”agent de l’étranger”, attribué de manière arbitraire à de nombreux opposants, journalistes et artistes critiques du Kremlin, est assorti de contraintes administratives draconiennes. Les personnes et organisations visées doivent se plier à de strictes obligations de déclaration et de transparence, sous peine de lourdes sanctions financières, voire de peines de prison. Beaucoup ont choisi l’exil pour échapper à cette chape de plomb.
Blocage des revenus et transfert à l’État
Avec ce nouveau texte, qui doit encore être validé en deuxième et troisième lectures avant d’être envoyé à la chambre haute du Parlement, les “agents de l’étranger” seront contraints d’ouvrir un compte bancaire spécial où seront versées leurs rémunérations issues d’activités intellectuelles. Ils ne pourront utiliser cet argent qu’à condition d’être retirés du registre officiel, une procédure longue et compliquée. À défaut, les sommes bloquées pourraient être transférées à l’État russe, selon Viatcheslav Volodine, le président de la Douma.
Les agents de l’étranger ne seront plus en mesure de s’enrichir aux dépens du pays et de ses citoyens.
Viatcheslav Volodine, président de la Douma
Des artistes et auteurs dans le viseur
Cette mesure vise particulièrement les dizaines d’artistes et d’écrivains figurant sur la liste noire des “agents de l’étranger”, qui compte actuellement près de 500 noms. Parmi eux, des figures de renom comme les écrivains Lioudmila Oulitskaïa et Boris Akounine, des journalistes et des opposants de premier plan. Beaucoup vivent désormais en exil, comme le chanteur de rock Dmitry Spirin, qui a confié à l’AFP n’être ni “choqué” ni “surpris” par ce nouveau tour de vis.
Ils tentent de nous empêcher de vivre en paix, même à l’extérieur du territoire russe.
Dmitry Spirin, chanteur de rock et opposant exilé
Contourner la loi pour survivre
Si Dmitry Spirin estime que cette loi aura peu d’impact concret sur le quotidien des exilés, n’ayant lui-même plus de biens ni de fonds en Russie, il admet qu’elle rend un éventuel retour “encore plus irréalisable”. Le chanteur, qui a pris position contre l’annexion de la Crimée en 2014 et l’offensive en Ukraine, explique avoir été traité de “traître” par d’anciens fans. Pour continuer à vivre de son art malgré tout, il compte bien trouver les moyens de “contourner” ces restrictions, en travaillant uniquement avec des entreprises étrangères.
Une loi liberticide sans cesse durcie
Instaurée en 2012, la loi sur les “agents de l’étranger” n’a cessé d’être renforcée pour devenir un outil de répression massive de toute forme de dissidence. Fin 2021, l’ONG Memorial, pilier de la défense des droits humains et de la mémoire des crimes soviétiques, avait été interdite pour avoir enfreint ces dispositions liberticides. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les autorités russes ont encore accéléré la cadence pour faire taire les dernières voix critiques et décourager toute velléité de contestation.
Avec ce nouveau texte ciblant les revenus des opposants, le régime de Vladimir Poutine franchit une étape supplémentaire dans sa tentative d’étouffer toute étincelle de liberté. Une dérive autoritaire qui suscite l’inquiétude des défenseurs des droits humains et de la communauté internationale, mais qui semble pour l’heure ne connaître aucune limite.