Rebondissement géopolitique en Asie centrale : la Russie a annoncé qu’elle allait retirer les Talibans de sa liste noire des organisations terroristes, plus de trois ans et demi après leur retour fracassant au pouvoir en Afghanistan. Une décision lourde de sens qui reflète la volonté de Moscou de composer avec la nouvelle donne politique à Kaboul.
Le Pragmatisme Russe Face aux Nouveaux Maîtres de Kaboul
C’est Sergueï Lavrov en personne, le chef de la diplomatie russe, qui a annoncé la nouvelle lors d’une visite de Vladimir Poutine en Ouzbékistan. Pragmatique, il a justifié ce revirement par une réalité indéniable sur le terrain afghan :
Ils ont le pouvoir réel.
– Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères
Malgré leurs promesses de modération, les Talibans appliquent depuis août 2021 la charia dans sa version la plus stricte. Mais aux yeux du Kremlin, ils représentent un moindre mal face à la menace d’une déstabilisation régionale.
Les Inquiétudes Sécuritaires de Moscou
La Russie redoute avant tout de voir émerger en Afghanistan de nouveaux groupes djihadistes, inspirés des Talibans ou soutenus par eux, qui pourraient menacer les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale. Le Kremlin veut également éviter :
- Un afflux de réfugiés afghans dans la région
- Une explosion du trafic d’opium et d’héroïne
Miser sur les Talibans pour “mettre de l’ordre chez eux”, comme l’a déclaré le patron du FSB Alexandre Bortnikov, apparaît donc comme la moins mauvaise option pour Moscou. Quitte à fermer les yeux sur les dérives du régime.
Un Long Chemin Vers la Reconnaissance
Si les Talibans ne sont plus considérés comme des “terroristes” par la Russie, ils sont encore loin d’avoir obtenu une reconnaissance officielle. Comme l’a souligné l’émissaire russe Zamir Kabulov, le “manque de reconnaissance officielle” empêchera par exemple Moscou de leur adresser des félicitations pour le 105e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays.
Mais petit à petit, les signaux positifs s’accumulent. La Russie a notamment invité des représentants talibans à son grand forum économique de Saint-Pétersbourg début juin. Un pas de plus vers une normalisation des relations, malgré le passif conflictuel de l’occupation soviétique des années 1980.
Vers un Nouvel Équilibre des Puissances en Afghanistan
En retirant son veto sur les Talibans, Moscou cherche à se positionner comme un acteur incontournable dans l’Afghanistan post-américain. Une façon aussi de contrer l’influence des autres puissances régionales comme la Chine, le Pakistan ou l’Iran.
Le pari est risqué, mais la Russie semble prête à l’assumer. Quitte à se retrouver accusée, comme avant 2001, de jouer un “double jeu” en soutenant en sous-main les Talibans. L’histoire dira si cette stratégie portera ses fruits, ou si elle se retournera contre les intérêts russes à long terme.
