La Russie se retrouve face à un dilemme épineux en Syrie. Moscou a besoin de maintenir le président Bachar Al-Assad au pouvoir pour préserver ses deux bases militaires stratégiques dans le pays. Mais la progression fulgurante des rebelles ces dernières semaines fragilise considérablement la position russe, qui manque d’options pour aider son allié.
Une offensive rebelle qui prend de court la Russie et ses alliés
Selon des sources proches du dossier, Moscou, tout comme Damas, Téhéran et Ankara, ont été surpris par l’ampleur de l’offensive rebelle. Celle-ci ne cesse de gagner du terrain, menaçant désormais des villes clés comme Homs, verrou stratégique sur la route de Damas. Un coup dur pour la Russie, dont le rôle central auprès d’Assad durant les premières années de la guerre civile semble s’effriter.
L’Iran, soutien crucial au régime, aussi en difficulté
L’avancée rebelle « reflète non pas la dégradation de l’attention russe mais celle des forces multinationales au sol soutenant le régime », analyse Nicole Grajewski, du think tank Carnegie. En effet, l’Iran, qui apporte un appui décisif à Assad sur le terrain, traverse lui aussi une passe difficile. Un affaiblissement qui limite encore plus la marge de manœuvre de Moscou.
Préserver les bases russes, objectif stratégique numéro un
Car la Syrie est devenue le point d’ancrage de l’influence russe au Moyen-Orient et en Afrique. Moscou y dispose depuis 1971 d’une base navale cruciale à Tartous, sur la côte méditerranéenne. Un site vital pour ravitailler et réparer les navires russes loin de leurs ports d’attache. En 2015, les Russes y ont ajouté la base aérienne de Hmeimim plus au nord. Deux installations qu’ils veulent à tout prix conserver.
Les Russes commencent à craindre pour leurs bases, qu’ils veulent absolument garder.
David Rigoulet-Roze, Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
Mais la rébellion, que beaucoup pensaient vaincue, vise maintenant ouvertement Damas. Et commence à couper les bases russes des forces syriennes. Un scénario cauchemardesque pour le Kremlin.
Des options limitées pour aider Assad
Le problème, c’est que la Russie est à la peine en Syrie depuis qu’elle a mis les bouchées doubles en Ukraine. Résultat, Vladimir Poutine manque cruellement de troupes et d’équipements à envoyer à Assad. Sauf à dégarnir le front ukrainien, un choix cornélien. « Les failles dans la stratégie de Moscou sont devenues apparentes », tranche Nicole Grajewski.
L’option des mercenaires, notamment ceux de l’Africa Corps déployés sur le continent africain, est envisagée. Selon des sources concordantes, près de 1800 d’entre eux seraient encore basés en Libye récemment. Ils pourraient rejoindre rapidement la Syrie avec leur armement lourd. Mais cela sera-t-il suffisant ?
Miser sur la diplomatie et les tractations en coulisses
En attendant, la Russie joue la carte diplomatique. Vladimir Poutine s’est entretenu mercredi avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui parraine une partie de la rébellion. Les deux dirigeants ont convenu de rester en contact étroit pour « désamorcer la crise ». Ils ont aussi souligné « l’importance cruciale d’une coordination » entre Russie, Turquie et Iran pour stabiliser la Syrie.
À court terme les options russes sont limitées. Le Kremlin joue la dissuasion, prépare des options, mais tout est un peu long à mettre en place donc il lui faut gagner du temps.
Pierre Razoux, Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES)
Pour Pierre Razoux de la FMES, « Moscou et Ankara sont dans une logique diplomatique transactionnelle ». Officiellement, « Erdogan ne veut pas la chute de Bachar. La question est de savoir s’il peut ‘tenir ses chiens' », image-t-il, en référence aux supplétifs turcs engagés aux côtés des rebelles.
Vers un sommet Syrie-Turquie à l’initiative de Moscou ?
Certains experts assurent que la Russie pousse en coulisses pour l’organisation d’un sommet entre la Syrie et la Turquie. « Moscou n’est pas prêt à perdre. Assad peut perdre, mais pas la Russie. Pour les Russes, ce serait peut-être plus facile de conclure un accord quelconque avec la Turquie », juge l’analyste politique russe Konstantin Kalatchev.
En attendant, les ressortissants russes ont été appelés vendredi à quitter la Syrie. Signe que le Kremlin se prépare au pire ? Sur les réseaux sociaux, des blogueurs pro-Poutine témoignent de leur pessimisme. « La priorité est de protéger Tartous des attaques de drones et d’empêcher la prise de Lattaquié », écrit l’un d’eux. « Même si nous devons abandonner temporairement le reste du territoire. » Un aveu d’impuissance qui en dit long sur la situation délicate de la Russie en Syrie.