La position de la France concernant l' »immunité » dont bénéficierait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, visé par un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI), soulève une vive polémique. En invoquant cette immunité, Paris s’attire les foudres des juristes et des ONG, qui crient à l’incohérence et à la politique de « deux poids, deux mesures ».
Une interprétation ambiguë du droit international
Le 21 novembre, la CPI a émis des mandats d’arrêts pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre de Benjamin Netanyahu et de son ex-ministre de la défense. Cette annonce a déclenché la fureur d’Israël, qui ne reconnaît pas la compétence de la Cour. Pressée de questions sur une éventuelle arrestation du dirigeant israélien, la France s’est retrouvée bien seule à évoquer une possible « immunité », là où d’autres pays comme l’Italie ou le Royaume-Uni ont réaffirmé leur engagement à respecter le Statut de Rome instaurant la CPI.
Pour justifier sa position, Paris s’appuie sur les obligations liées aux « immunités des Etats non parties à la CPI » prévues par le droit international, Israël n’étant pas signataire du Statut de Rome. Une interprétation pour le moins ambiguë au regard de l’article 27 dudit Statut, qui stipule clairement que la qualité officielle, y compris de chef d’État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale devant la Cour.
La CPI réaffirme la non opposabilité des immunités
Saisie à plusieurs reprises sur des cas similaires, la Chambre préliminaire de la CPI a systématiquement réaffirmé que « l’immunité personnelle, y compris celle des chefs d’Etat, n’est pas opposable devant la CPI ». En octobre dernier, elle a rappelé le devoir des États parties « d’arrêter et de remettre les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI, quelle que soit leur position officielle ou leur nationalité », suite au refus de la Mongolie d’arrêter Vladimir Poutine. Une décision quasi-identique avait été rendue en 2017 contre l’Afrique du Sud, qui n’avait pas appréhendé le président soudanais el-Béchir en 2015.
Juristes et ONG dénoncent une position indéfendable
Face à ces éléments, la position française apparaît difficile à justifier juridiquement. Pour de nombreux spécialistes, elle ne tient tout simplement pas. Selon Me Clémence Bectarte, spécialiste en droit pénal international, « il y a une obligation juridique et sans ambiguïté de tout Etat partie au Statut de Rome à exécuter les mandats d’arrêt de la CPI ». Une obligation qui primerait sur toute autre considération.
Les mandats d’arrêts de la CPI ne sont pas négociables.
La FIDH
Du côté des ONG, c’est la consternation. Amnesty International insiste sur « les obligations fondamentales de la France en tant qu’Etat partie à la CPI ». La directrice France de Human Rights Watch, Bénédicte Jeannerod, juge la position française « profondément choquante ». Quant à la FIDH, elle dénonce une décision qui « fragilise dangereusement le droit international ».
Et Poutine et el-Béchir alors ?
Un autre élément vient jeter le trouble sur la position française : son attitude diamétralement opposée dans les affaires Poutine et el-Béchir. Visés eux aussi par des mandats de la CPI alors que leurs pays ne sont pas États parties, la France n’avait jamais soulevé publiquement la question de leur immunité. Pire, Paris avait même salué l’émission du mandat contre Poutine comme une décision « extrêmement importante ». Un « deux poids, deux mesures » inacceptable pour les défenseurs des droits de l’Homme.
La France ne peut pas avoir une position avec Poutine et une autre concernant Netanyahu.
Balkees Jarrah, Human Rights Watch
En évoquant une potentielle immunité pour Netanyahu là où elle a applaudi la mise en cause de Poutine, la France s’expose à de sérieuses accusations de partialité. Une incohérence diplomatique et juridique qui risque de lui coûter cher en termes d’image et de crédibilité sur la scène internationale.
Un nouveau camouflet pour la justice internationale ?
Au-delà du cas Netanyahu, c’est tout le système de la CPI qui pourrait sortir affaibli de cette polémique. En soufflant le chaud et le froid sur le respect de ses décisions selon les pays concernés, la France contribue à décrédibiliser son action et son autorité. Un bien mauvais signal au moment où l’institution, déjà fragilisée par le manque de coopération des États, a plus que jamais besoin du soutien de la communauté internationale pour poursuivre sa mission de lutte contre l’impunité des crimes les plus graves.