Imaginez-vous monter dans un train banal un matin d’automne. Le café est tiède, la musique dans les écouteurs, et soudain… un obstacle en acier placé exprès sur la voie. Ou pire : une charge militaire qui explose sous les roues. Ce scénario digne d’un thriller est devenu réalité en Pologne mi-novembre.
Deux incidents graves en quelques jours seulement. Aucun blessé, mais les autorités parlent déjà de « miracle ». Le Premier ministre polonais n’y va pas par quatre chemins : il s’agit, selon lui, de terrorisme d’État orchestré depuis le Kremlin.
L’Opération Horizon : 10 000 soldats pour garder les rails
Face à la menace, Varsovie a lancé une réponse massive baptisée « Opération Horizon ». Objectif : transformer le réseau ferroviaire polonais, véritable artère vitale pour l’aide à l’Ukraine, en forteresse surveillée.
Concrètement, jusqu’à 10 000 militaires de toutes les branches – forces spéciales, défense cyber, défense territoriale – patrouillent désormais le long des voies. Leur mission est claire : repérer tout comportement suspect, tout objet abandonné, toute tentative d’approche des infrastructures.
Le porte-parole des chemins de fer polonais, Pawel Kuskowski, résume l’enjeu en une phrase : « Nous accordons une attention particulière aux obstacles placés sur les voies. »
Deux attaques en plein jour
Le premier incident ? Une barre d’acier soudée sur les rails, conçue pour provoquer un déraillement. Le second, bien plus inquiétant : la détonation d’un engin explosif de qualité militaire sur une ligne stratégique qui achemine armes et matériel humanitaire vers l’Ukraine.
Le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, n’a pas mâché ses mots : « Ces actions auraient pu causer une catastrophe ferroviaire et la mort de centaines de personnes. Nous n’avons été sauvés que par miracle. »
« Une catastrophe ferroviaire et la mort de nombreuses personnes n’ont été évitées que par miracle. »
Radoslaw Sikorski, ministre polonais des Affaires étrangères
Des suspects déjà identifiés
Les enquêteurs n’ont pas perdu de temps. Deux ressortissants ukrainiens, recrutés selon Varsovie par les services russes, ont été formellement identifiés. Les deux hommes auraient fui vers le Bélarus, allié indéfectible de Moscou. Un tribunal polonais a émis un mandat d’arrêt international à leur encontre.
Cette fuite vers Minsk n’a rien d’anodin : elle rappelle les multiples affaires d’espionnage et de sabotage qui ont émaillé les relations entre la Pologne et le duo Russie-Bélarus depuis 2022.
Une population entre réassurance et doute
Dans les gares de banlieue varsoviennes, les patrouilles armées sont désormais omniprésentes. Pour certains voyageurs, c’est plutôt rassurant. Grazyna, 60 ans, qui préfère garder l’anonymat, confie : « Je vois les agents et la police, ça me tranquillise un peu. »
Mais pour d’autres, le doute persiste. Jan, étudiant en pharmacie de 19 ans, reste sceptique : « On ne peut pas être sûr que des incidents similaires ne se reproduiront pas dans les environs. »
Tous deux, pourtant, continuent de prendre le train. Une forme de résilience ordinaire face à une menace devenue… presque quotidienne.
Pourquoi les chemins de fer polonais sont-ils une cible prioritaire ?
La réponse tient en quelques chiffres. Depuis février 2022, la Pologne est devenue le hub logistique numéro un pour l’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine. Trains blindés, convois de munitions, matériel lourd : tout transite par les rails polonais.
Attaquer ces voies, c’est frapper directement la capacité de Kiev à résister. C’est aussi envoyer un message clair aux pays de l’OTAN : même en arrière-ligne, personne n’est à l’abri.
En clair : perturber le réseau ferré polonais, c’est ralentir l’arrivée d’armes en Ukraine sans avoir à affronter directement les forces de l’OTAN. Une guerre hybride par excellence.
L’Opération Horizon jusqu’en mars… et après ?
Pour l’instant, la mobilisation est prévue au moins jusqu’au début du mois de mars. Mais beaucoup se demandent déjà si cette durée sera suffisante. Les précédents montrent que les actions hybrides russes ne s’arrêtent pas avec l’hiver.
Le caporal-chef Przemyslaw Luszczki, de la 18e brigade de défense territoriale, insiste sur la vigilance citoyenne : « Nos soldats vérifieront chaque signalement. » Un appel qui montre que la sécurité repose désormais aussi sur les yeux de millions de passagers.
Des affiches ont d’ailleurs fleuri dans les gares : « Vous voyez quelque chose d’anormal ? Appelez immédiatement. »
Un précédent qui rappelle les heures les plus sombres
Pour les Polonais, ces sabotages ferroviaires réveillent des souvenirs douloureux. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les résistants polonais faisaient dérailler les trains nazis. Aujourd’hui, c’est l’inverse : un État use des mêmes méthodes contre des civils.
La symbolique est lourde. Et elle renforce la détermination de Varsovie à ne rien laisser passer.
En déployant des forces spéciales le long des voies, en mobilisant la défense cyber pour traquer les commanditaires, la Pologne envoie un message clair : elle est prête à défendre chaque mètre de rail comme elle défendrait sa frontière.
Car au fond, dans cette guerre qui n’en finit pas de déborder, les rails polonais ne transportent pas seulement des marchandises. Ils portent l’espoir de tout un peuple qui se bat à quelques centaines de kilomètres de là.
Et tant que cet espoir circulera, les soldats marcheront le long des voies, fusil à l’épaule, sous le ciel gris de novembre.









