Face à la menace grandissante d’ingérences étrangères dans les processus démocratiques, le gouvernement polonais a décidé de renforcer la protection de ses fleurons nationaux. Mercredi, Varsovie a annoncé l’extension de la liste des « entreprises stratégiques » du pays, y intégrant plusieurs géants des télécoms et de la télévision privée. Une démarche préventive à quelques encablures d’une échéance électorale cruciale.
Des entreprises clés sous haute surveillance
Téléphonie mobile, bouquets numériques, chaînes de télévision… Les sociétés nouvellement placées sous la tutelle de l’État sont aussi diverses que stratégiques. Parmi elles, on retrouve notamment :
- Les opérateurs P4/Play (groupe français Iliad) et T-Mobile (allemand)
- Polsat Cyfrowy, opérateur du bouquet numérique Polsat et de la télé du même nom
- TVN, propriété du géant américain Warner Bros. Discovery
- WB Electronics, spécialiste polonais de l’électronique de défense
D’après une source gouvernementale, l’opérateur français Orange, déjà soumis à ce régime, conserve son statut privilégié. Pour le Premier ministre Donald Tusk, l’enjeu est clair :
Je n’ai pas besoin de justifier ici la nécessité de se protéger contre le risque que ces entreprises, essentielles à la sécurité de l’État polonais, tombent entre les mains de personnes indésirées.
Désormais, toute cession de parts dans ces sociétés devra obtenir le feu vert de Varsovie. Une mesure forte pour prévenir d’éventuelles manœuvres hostiles.
Le spectre des ingérences plane sur la présidentielle
Le timing de cette annonce n’est pas anodin. La Pologne s’apprête à vivre une présidentielle décisive en mai prochain, scrutin sur lequel planent les soupçons d’interférences extérieures. Un scénario déjà observé lors de récents votes en Moldavie et Roumanie, attribué à la Russie par plusieurs observateurs.
Les regards se tournent notamment vers les médias, vecteurs d’influence majeurs. TVN et Polsat, les deux mastodontes de la télé privée, intègrent ainsi le giron stratégique de l’État. La première, que la rumeur dit dans le viseur de groupes hongrois et tchèques proches du Kremlin, suscite une attention toute particulière.
Le premier ministre Tusk, prudent, veille au grain. Évoquant des entretiens avec ses homologues régionaux, il confie avoir « des raisons de croire que les intentions de ceux qui ont déclaré des guerres hybrides de divers types en Pologne étaient sérieuses ». Un avertissement sans détour, doublé d’une promesse de vigilance à toute épreuve.
L’économie au cœur des enjeux de souveraineté
Au-delà des seules considérations électorales, c’est bien la souveraineté économique polonaise qui se joue. En sanctuarisant des pans stratégiques de son économie, Varsovie entend garder la main sur des secteurs névralgiques pour son développement et sa sécurité.
Télécommunications, médias, défense… Autant de domaines aux ramifications multiples, dont le contrôle revêt une importance capitale. Préserver l’indépendance décisionnelle nationale tout en maintenant un environnement ouvert aux investissements étrangers : tel est le délicat équilibre que cherche à instaurer le gouvernement polonais.
Une stratégie qui n’est pas sans rappeler les initiatives similaires prises ces dernières années par d’autres pays européens, soucieux de protéger leurs intérêts vitaux. Alors que les tensions géopolitiques s’accroissent et que la compétition économique s’exacerbe, la Pologne entend ainsi se donner les moyens de maîtriser son destin. Un pari audacieux, dont l’avenir dira s’il était visionnaire.