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La politique migratoire italienne fragilisée par la justice

Un tribunal italien demande l'avis de la Cour de justice européenne sur la rétention de migrants en Albanie. En attendant, ils reviendront en Italie. Un revers embarrassant pour la politique migratoire de Giorgia Meloni, qui misait sur ces centres...

Dans un rebondissement inattendu, la justice italienne a porté un nouveau coup à la politique migratoire musclée du gouvernement de Giorgia Meloni. Selon des sources proches du dossier, un tribunal de Rome a décidé de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) concernant la rétention de migrants transférés en Albanie dans le cadre d’un accord bilatéral. En attendant l’avis de la CJUE, les sept migrants égyptiens et bangladais concernés seront rapatriés en Italie dans les prochaines heures.

La justice italienne sème le doute sur la conformité avec le droit européen

Par cette saisine, les magistrats romains souhaitent s’assurer que la législation italienne en matière de rétention et d’expulsion de migrants soit bien conforme aux textes européens. Une démarche qui jette une ombre sur l’un des piliers de la politique migratoire voulue par Giorgia Meloni et son allié Matteo Salvini, chef de la Ligue, formation connue pour ses positions antimigrants.

Matteo Salvini a immédiatement fustigé la décision du tribunal, y voyant «​un nouveau jugement politique contre les Italiens et leur sécurité​». Il a prévenu : «​Le gouvernement et le parlement ont le droit de réagir pour protéger les citoyens et ils le feront​». De son côté, l’ONG Sea-Watch, engagée dans le sauvetage de migrants en mer, a salué le jugement en déclarant : «​La justice démonte encore une fois la propagande du gouvernement italien​».

Des centres en Albanie qui tournent à vide

L’Italie a dépensé des dizaines de millions d’euros pour construire des centres de rétention en Albanie, censés accueillir les migrants expulsés. Mais leur ouverture, initialement prévue pour accueillir des centaines de personnes, a pris des mois de retard. Aujourd’hui, avec ce nouveau revers judiciaire, ils semblent condamnés à tourner à vide, au moins temporairement. Un camouflet pour Giorgia Meloni qui vantait ce dispositif comme un «​exemple​» pour les autres pays européens.

La notion de «​pays sûrs​» au cœur des débats

Au cœur de ce bras de fer judiciaire se trouve la notion de «​pays sûrs​». Selon un récent arrêt de la CJUE, les États membres ne peuvent désigner comme «​sûrs​» que des pays entiers, et non certaines régions spécifiques. Une subtilité qui a conduit le tribunal romain à annuler il y a trois semaines la rétention des 12 premiers migrants envoyés en Albanie.

En réaction, le gouvernement Meloni a adopté un décret inscrivant dans la loi italienne une liste de 19 pays considérés comme sûrs. L’objectif : pouvoir traiter en procédure accélérée depuis l’Albanie les demandes d’asile des ressortissants de ces pays, avec à la clé une probable expulsion. Mais cette manœuvre semble déjà vaciller face au droit européen.

Des juges italiens pointent des «​divergences évidentes​»

Outre le tribunal de Rome, des juges de Bologne ont aussi saisi la CJUE pour clarifier la situation face aux «​divergences évidentes​» et aux «​conflits d’interprétation​» dans le système juridique italien. Ils estiment qu’il n’est pas possible de déclarer des pays entiers sûrs quand il existe des preuves de persécutions contre des minorités. Une position qui fragilise encore le décret voulu par Giorgia Meloni.

On pourrait dire, paradoxalement, que l’Allemagne nazie était un pays extrêmement sûr pour la grande majorité de la population allemande : à l’exception des juifs, des homosexuels, des opposants politiques, des personnes d’origine rom et d’autres groupes minoritaires.

Extrait de l’argumentaire des juges de Bologne

L’accord Italie-Albanie en sursis

Pour rappel, l’accord signé fin 2023 entre Giorgia Meloni et son homologue albanais Edi Rama prévoit que l’Albanie accueille pour une durée de 5 ans les migrants adultes de sexe masculin interceptés par les garde-côtes italiens en Méditerranée. Un accord déjà fragile au regard des derniers développements judiciaires.

Malgré une baisse des arrivées par rapport à 2023, la question migratoire reste un sujet brûlant en Italie. Entre le 1er janvier et le 11 novembre 2024, 58 504 migrants ont débarqué dans la péninsule, contre près de 147 000 sur la même période l’année précédente. Des chiffres qui alimentent les tensions et placent le gouvernement sous pression.

À travers l’avis de la CJUE, c’est toute la stratégie migratoire italienne qui pourrait être remise en question. Une décision qui sera scrutée de près, tant par les défenseurs d’une ligne dure que par ceux plaidant pour une approche plus humaniste. L’Italie, et l’Europe avec elle, sont une nouvelle fois au pied du mur sur cet épineux dossier.

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