Alors que la Nouvelle-Calédonie peine encore à se relever des violentes émeutes qui ont secoué l’archipel il y a plus de sept mois, un nouveau coup dur vient ébranler sa stabilité. Mardi dernier, le renversement du gouvernement dirigé par l’indépendantiste Louis Mapou a en effet précipité ce territoire français du Pacifique sud dans une crise politique aux conséquences potentiellement désastreuses.
Suite à ce renversement, les groupes indépendantistes de l’assemblée locale ont choisi de ne pas voter les réformes conditionnant le déblocage de l’aide d’urgence promise par l’État français, aide indispensable pour permettre à la Nouvelle-Calédonie de terminer l’année. Un geste de solidarité envers Louis Mapou qui pourrait cependant coûter cher à un territoire déjà fortement fragilisé.
Un lourd bilan humain et économique
Rappelons que la Nouvelle-Calédonie sort à peine de six mois de tensions insurrectionnelles qui ont été particulièrement meurtrières et dévastatrices :
- 14 personnes ont perdu la vie dans ces événements.
- Les dégâts matériels sont estimés à plus de 2 milliards d’euros.
- Entre mars et septembre, un salarié calédonien sur sept (soit 9 250 personnes) a perdu son emploi selon l’institut local de statistiques.
C’est dire si le territoire, situé à plus de 17 000 kilomètres de la métropole, se trouve dans une situation économique et sociale particulièrement délicate. Et le renversement du gouvernement Mapou ne risque pas d’arranger les choses, bien au contraire.
De profondes divergences politiques
Louis Mapou, qui s’est exprimé publiquement vendredi pour la première fois depuis sa chute, n’a pas mâché ses mots. Abandonnant son habituelle bonhommie, il a dénoncé ce qu’il considère comme « un sale coup politique, irrationnel et irresponsable ». Des critiques dirigées principalement contre la formation de centre-droit Calédonie ensemble, à l’origine de la démission de l’exécutif local.
Pour ce parti, le président indépendantiste n’aurait pas dû accepter les conditions posées par l’État pour le versement de l’aide à la reconstruction, à savoir la mise en œuvre de réformes. Son leader Philippe Gomès estime en effet que le prêt d’un milliard d’euros ainsi octroyé va « durablement endetter les générations futures ». Il souhaite que la nouvelle équipe gouvernementale soit en mesure d’engager un rapport de force avec Bercy.
Un gouvernement déconnecté de l’assemblée ?
Au-delà de Calédonie ensemble, d’autres formations politiques partagent le sentiment d’un décalage entre le gouvernement local et le Congrès, l’assemblée dont il est pourtant issu. Virginie Ruffenach, présidente du groupe de droite Le Rassemblement-Les Républicains, indique ainsi :
Nous étions contre la chute du gouvernement, mais nous comprenons les raisons qui nous ont amenés là. Ça a été très difficile ces derniers mois de mener un travail en commun avec ce président du gouvernement.
Milakulo Tukumuli, du parti centriste Éveil océanien, estime pour sa part que « le gouvernement procède du Congrès, et pas l’inverse ». Comme Calédonie ensemble, il juge disproportionnées les exigences du ministère de l’Économie et critique tout projet d’augmentation d’impôts qui pèserait sur les plus modestes :
Je ne sais pas dans quel monde vivent certaines personnes, mais moi je vis dans un monde où les gens n’arrivent même plus à se nourrir.
Vers une mise sous tutelle de la Nouvelle-Calédonie ?
Normalement, un nouveau gouvernement devrait être élu le 7 janvier par les conseillers du Congrès, qui désigneront dans la foulée son président. Selon plusieurs observateurs, il devrait s’agir d’Alcide Ponga, président du Rassemblement-Les Républicains, dont le nom semble faire consensus.
Seulement voilà : pour protester contre le renversement de l’équipe Mapou, les groupes indépendantistes ont annoncé qu’ils ne siégeraient plus, « afin de mettre chacun devant ses responsabilités ». Jean-Pierre Djaïwé, président de l’UNI (Union nationale pour l’indépendance), justifie cette décision :
Puisqu’ils mettent en cause le plan de sauvetage du gouvernement, nous ne voterons pas les textes qui y sont liés en attendant que le prochain gouvernement fasse ses propositions.
Conséquence directe de ce boycott : le Congrès n’a pas pu adopter jeudi la réforme de la taxe sur la consommation. Or, sans cette réforme, Bercy ne versera pas les 231,2 millions d’euros dont la Nouvelle-Calédonie a besoin pour boucler son budget 2024 et notamment payer les salaires des fonctionnaires.
Face à cette situation de blocage, certains, comme Philippe Blaise, élu du parti loyaliste Les Républicains calédoniens, s’alarment : « La mise sous tutelle devient un scénario de plus en plus sérieux ». De quoi encore assombrir l’avenir d’un archipel en plein marasme.