Au large des Antilles, dans les eaux turquoise de la mer des Caraïbes, se joue une partie de cache-cache à hauts risques. D’un côté, les narcotrafiquants sud-américains qui acheminent des tonnes de cocaïne vers l’Europe. De l’autre, la Marine française qui tente de leur barrer la route. Une lutte sans merci où les saisies record s’enchaînent, sans pour autant réussir à tarir le flot de poudre blanche.
Explosion du trafic, explosion des saisies
En 2022, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la quantité de cocaïne disponible sur le marché mondial a atteint un niveau historique de plus de 2 700 tonnes. Un chiffre vertigineux qui ne cesse de grimper d’année en année, tout comme les saisies réalisées par les autorités françaises. Ainsi, les 27,7 tonnes interceptées par la France en 2022 représentent cinq fois plus qu’il y a dix ans. Et la tendance s’accélère encore, avec déjà plus de 47 tonnes saisies en 2024 contre 23,2 tonnes sur l’ensemble de l’année 2023.
La Martinique, de terre de transit à plaque tournante
Dans ce trafic tentaculaire entre l’Amérique du Sud et l’Europe, la Martinique et la Guadeloupe jouent désormais un rôle clé. Autrefois simples terres de rebond pour la marchandise, ces îles françaises des Antilles sont devenues de véritables plaques tournantes, au même titre que la République dominicaine voisine. La cocaïne y transite massivement, après avoir quitté les côtes vénézuéliennes où elle est acheminée depuis ses lieux de production en Colombie, au Pérou et en Bolivie.
Des saisies records qui s’enchaînent
Face à ce déferlement, la Marine française mène une lutte acharnée, notamment via les frégates de surveillance Ventôse et Germinal des Forces armées aux Antilles (FAA) basées à Fort-de-France. Plusieurs fois par an, ces navires partent en mission pour intercepter des voiliers et bateaux rapides chargés de cocaïne lors de transbordements en haute mer. Et les résultats sont au rendez-vous, avec des prises record qui s’enchaînent. En août dernier, le patrouilleur Antilles-Guyane « La Confiance » a ainsi réalisé une saisie historique de 10 tonnes d’un coup.
Saisir des grosses quantités en mer plutôt que des petites quantités à terre, c’est une forme de défense de l’avant : protéger le territoire national en luttant loin du territoire national.
Vice-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des FAA
Un travail de renseignement crucial
Ces succès sont le fruit d’un important travail de renseignement, réalisé en amont par différents services comme l’Office anti-stupéfiants (Ofast), le Maritime Analysis and Operations Centre – Narcotics (MAOC-N) ou encore la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). L’objectif : anticiper les routes et modes opératoires des trafiquants pour mieux les contrer.
S’il y a de grosses saisies, cela veut dire qu’il y a de grosses quantités qui passent. Il y a une forme de robustesse de l’organisation derrière, ils ont de l’argent, ils corrompent toute une série de personnes à des endroits clés de la chaîne logistique.
Un responsable du renseignement douanier
Une goutte d’eau dans un océan de poudre
Pourtant, malgré ces coups de filet spectaculaires, les saisies restent une goutte d’eau face à l’océan de cocaïne qui inonde l’Europe. En témoigne le prix du gramme, stable à 65 euros depuis 2021 en France. Signe que le manque ne se fait pas sentir côté consommateurs… Un constat amer pour celles et ceux qui luttent au quotidien contre ce fléau.
Je me sens comme un hamster dans sa roue. Nous pédalons, travaillons beaucoup, cela coûte cher. Mais je ne pense pas qu’on bloque fondamentalement le trafic. Nous avons la prétention d’être un caillou dans la chaussure des trafiquants. Nous les gênons un peu. Mais pour eux, à très haut niveau, cela fait presque partie de leur stratégie.
Clarisse Taron, ex-procureure de Martinique
Un combat de longue haleine
Malgré une motivation et un engagement sans faille, les acteurs de la lutte antidrogue ont conscience de livrer une bataille de longue haleine, dont l’issue est plus qu’incertaine. L’enjeu principal : éviter que la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ne basculent entièrement sous la coupe des narcotrafiquants, à l’image d’autres pays de la région gangrénés par la corruption.
Un défi immense alors que le chiffre d’affaires annuel du trafic de drogue est estimé entre 3,5 et 6 milliards d’euros pour la France. Face à de tels enjeux financiers, la Marine française n’a pas fini de jouer au chat et à la souris avec les « narcos » dans la mer des Caraïbes. Une lutte cruciale, même si elle peut sembler parfois vaine, pour tenter d’endiguer cette marée blanche sans cesse montante.