C’est un geste aussi surprenant qu’audacieux dans le contexte actuel de tensions. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a officiellement apporté son soutien à la main tendue lancée la semaine dernière par son principal allié, le parti nationaliste MHP, en direction des Kurdes de Turquie. Une initiative qui intervient pourtant peu après l’attentat meurtrier revendiqué par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Ankara.
Un appel à saisir “une opportunité historique”
Devant les députés de son parti, l’AKP, Erdogan a évoqué mercredi “une fenêtre d’opportunité historique qui s’est ouverte devant nous”. Le chef de l’État turc faisait ainsi référence à la proposition surprenante formulée par Devlet Bahçeli, le dirigeant du MHP. Ce dernier avait suggéré au leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, de s’adresser au Parlement pour annoncer la dissolution de son organisation et la fin du “terrorisme”.
“Chers frères kurdes, nous attendons que vous saisissiez sincèrement cette main tendue“, a insisté Erdogan dans un appel direct à la communauté kurde du pays. Une déclaration qui marque un tournant dans la rhétorique du président turc, habituellement intransigeant sur la question kurde.
La main tendue, mais pas aux “barons de la terreur”
Toutefois, le chef de l’État a tenu à clarifier les limites de cette ouverture : “Nous faisons clairement la différence avec les groupes terroristes qui opèrent depuis l’Irak et la Syrie. Cet appel ne concerne pas et ne peut concerner les barons de la terreur qui versent le sang“, a-t-il martelé. Une allusion aux branches armées du PKK basées dans ces deux pays voisins, contre lesquelles la Turquie mène régulièrement des opérations militaires.
Erdogan a d’ailleurs réaffirmé mardi sa détermination à poursuivre ces offensives afin “d’éliminer la menace terroriste”. Mais il a aussi exprimé l’espoir de pouvoir “célébrer le quarantième anniversaire de [sa] carrière en politique en refermant le chapitre du terrorisme” dans le pays.
Un pari risqué après l’attentat d’Ankara
Cette main tendue intervient dans un contexte particulièrement délicat, quelques jours seulement après l’attentat qui a visé le 23 octobre le siège des industries de défense à Ankara, faisant cinq morts et 22 blessés. Une attaque revendiquée vendredi par le PKK, qui a toutefois précisé que sa planification était antérieure à la proposition du MHP.
Malgré cela, Erdogan semble décidé à saisir ce qu’il perçoit comme une opportunité de résoudre l’un des conflits les plus anciens et meurtriers de Turquie. “Mes chers frères kurdes, venez et construisons ensemble le siècle de la Turquie“, a-t-il lancé dans une référence au centenaire de la République turque qui sera célébré en 2023.
Le sort d’Abdullah Öcalan en question
Reste à savoir si cet appel trouvera un écho favorable du côté du PKK et de son chef historique Abdullah Öcalan. Ce dernier, condamné à la prison à vie, est détenu dans des conditions d’isolement quasi-total sur l’île d’Imrali, au large d’Istanbul, depuis sa capture en 1999.
Sa libération, ou du moins l’amélioration de ses conditions de détention, sera sans doute l’une des principales demandes en cas d’amorce d’un dialogue entre le gouvernement turc et le PKK. Un dossier explosif sur le plan politique, Öcalan restant perçu par une large partie de l’opinion publique turque comme le responsable de décennies de violences.
Un geste calculé à l’approche des élections ?
Certains observateurs voient aussi dans ce geste inattendu un calcul politique d’Erdogan, à moins d’un an de l’élection présidentielle prévue en juin 2023. Confronté à une érosion de sa popularité sur fond de crise économique, le chef de l’État chercherait ainsi à élargir sa base électorale en séduisant une partie de l’électorat kurde.
Une analyse balayée par le porte-parole de l’AKP, Ömer Çelik, qui a assuré qu’il s’agissait d’une “initiative sincère” sans “arrière-pensées électoralistes“. Quelles que soient ses motivations réelles, Erdogan prend le risque de tendre la main aux Kurdes dans un contexte sécuritaire et politique des plus tendus. Un pari audacieux dont l’issue est encore incertaine.