C’est un épilogue aussi attendu que redouté. Après des mois d’intenses controverses, les ministres européens de l’Environnement ont finalement donné leur feu vert à la très disputée loi sur la restauration de la nature. Ce texte phare du Pacte vert européen, défendu bec et ongles par les ONG environnementales mais conspué par le monde agricole, avait fait l’objet de vifs débats et de plusieurs revirements au sein des États membres. Son adoption finale ce lundi marque donc un tournant majeur pour la politique environnementale de l’UE, non sans soulever de nombreuses interrogations sur sa mise en œuvre concrète.
Un Règlement Ambitieux pour Restaurer la Biodiversité
Proposé par la Commission européenne en juin 2022, ce règlement vise à enrayer le déclin alarmant de la biodiversité sur le Vieux Continent. Son objectif : imposer aux États membres de restaurer au moins 20% des écosystèmes terrestres et marins dégradés d’ici 2030, puis 90% de tous les écosystèmes d’ici 2050. Si aucun quota n’est fixé par pays, chacun devra soumettre à Bruxelles des plans détaillés présentant ses efforts en la matière.
Dans un premier temps, la priorité sera donnée jusqu’en 2030 à la restauration des zones Natura 2000, ce vaste réseau de sites naturels protégés qui couvre près de 18% du territoire de l’UE. Des objectifs chiffrés seront également définis pour certains types d’habitats en mauvais état de conservation, comme les tourbières, les prairies ou encore les récifs coralliens.
Un Casse-Tête pour le Monde Agricole
Mais c’est bien du côté des agriculteurs que ce texte suscite le plus d’inquiétudes. Ces derniers redoutent de devoir réduire leurs surfaces cultivées pour répondre aux objectifs de restauration, avec à la clé des pertes de production et de revenus. Selon la FNSEA, principal syndicat agricole français, jusqu’à 4 millions d’hectares de terres arables pourraient ainsi être menacés dans l’Hexagone.
La restauration de la nature ne doit pas se faire au détriment de notre souveraineté alimentaire.
– Christiane Lambert, présidente de la FNSEA
Face à cette levée de boucliers, les eurodéputés avaient déjà amendé le texte initial afin d’en atténuer les contraintes pour le secteur. Ils ont notamment exclu les terres agricoles des objectifs de restauration et précisé que ceux-ci ne devraient pas entraver la production alimentaire. Pas de quoi rassurer pour autant la profession, qui pointe les nombreuses zones d’ombre persistantes.
Une Victoire en Demi-Teinte pour les Défenseurs de l’Environnement
Côté ONG, si l’on se félicite de cette avancée historique pour la biodiversité, on regrette malgré tout que le texte ait été édulcoré sous la pression des lobbies agricoles. Le WWF estime ainsi que les objectifs de restauration ont été revus à la baisse et que trop d’exemptions ont été accordées, notamment sur les tourbières et les zones humides.
C’est un premier pas important, mais il faudra aller plus loin et plus vite pour enrayer l’effondrement du vivant.
– Arnaud Gauffier, directeur des programmes au WWF France
Certains jugent également dommageable que les États disposent d’une telle marge de manœuvre dans la définition de leurs plans de restauration. Un flou qui risque de favoriser les stratégies de contournement et les arbitrages en défaveur de l’environnement.
Les Défis de la Mise en Œuvre
Au-delà de ces débats, c’est bien la question de l’application concrète de cette loi qui interroge désormais. Comment les États vont-ils s’y prendre pour atteindre les objectifs fixés ? Quels moyens humains et financiers seront alloués à cette politique de restauration ? Quelles seront les sanctions en cas de non-respect des engagements ?
- Les plans nationaux de restauration devront être soumis d’ici 2 ans
- Un cadre méthodologique commun sera défini au niveau européen
- Des financements seront mobilisés via la PAC et le programme LIFE
- Un comité scientifique sera chargé du suivi et de l’évaluation
Autant de questions encore en suspens et qui ne manqueront pas de raviver les tensions lorsqu’il s’agira de passer à l’acte. Mais les défenseurs du texte veulent croire que le retour d’expérience des premiers projets de restauration permettra de démontrer les bénéfices environnementaux, sociaux et économiques d’une telle politique. Rendez-vous dans deux ans pour les premiers bilans.