Au cœur de l’Est de la République démocratique du Congo, une région plus connue pour les conflits qui la déchirent depuis des décennies que pour sa vie culturelle, un collectif d’artistes et d’activistes a décidé de s’attaquer à un défi de taille : réconcilier les jeunes avec les livres. Leur arme ? Une maison d’édition locale, Mlimani, qui se donne pour mission de rendre la lecture accessible et pertinente pour la jeunesse congolaise.
Un contexte difficile pour la lecture
Dans cette région où la violence est le quotidien depuis plus de trente ans, la lecture est souvent considérée comme un luxe futile. Les rares librairies de Goma, la principale ville de l’Est, proposent essentiellement des livres importés d’Europe, à des prix prohibitifs pour la plupart des jeunes. Comme le souligne Depaul Bakulu, l’un des fondateurs de Mlimani, « très peu de jeunes peuvent accéder à ces livres, contrairement à d’autres produits comme la bière, en promotion chaque week-end ». Un constat amer qui a poussé ce collectif à se lancer dans une aventure éditoriale hors du commun.
Mlimani, la maison d’édition qui veut changer la donne
Grâce à une cagnotte en ligne, Mlimani a vu le jour il y a un an et demi. Son objectif : proposer des livres à des prix abordables, entre 5 et 10 dollars, tout en misant sur des auteurs et des thématiques qui parlent aux jeunes Congolais. Le catalogue compte déjà une dizaine de titres, du penseur Frantz Fanon au Prix Nobel Denis Mukwege en passant par des romanciers, essayistes et chercheurs majoritairement congolais. Selon Depaul Bakulu, leur point commun est de proposer « des livres qui parlent de la culture des jeunes Congolais ou qui ont un rapport direct avec leur vie ».
Aller chercher les lecteurs là où ils sont
Mais l’ambition de Mlimani ne s’arrête pas à l’édition. Pour toucher son public, la maison mise sur un réseau de partenaires qui sillonnent le pays pour organiser des séances de lecture collective dans les écoles et les centres culturels. L’idée est de « se mettre autour d’une table et discuter des sujets qui nous concernent » explique Victor Ngizwe, un étudiant qui anime ces ateliers. Une démarche qui permet de diffuser le contenu des livres sans obliger les participants à les acheter.
On dit que les Congolais ne lisent pas, mais on s’est rendu compte que les problèmes étaient beaucoup plus liés à l’offre.
Depaul Bakulu, cofondateur de Mlimani
Des livres pour « se révolter » et construire l’avenir
Lors de ces ateliers, les débats sont souvent animés. Beaucoup de jeunes expriment leur frustration face à une histoire congolaise majoritairement écrite par des auteurs étrangers et peu enseignée dans les écoles. Pour Gautier Barweba, artiste slameur, « à l’école, les enseignants nous martèlent l’histoire européenne. On ne parle pas de l’Antiquité africaine, on ne parle pas du Moyen-Âge en Afrique ». Un constat partagé par Victor Ngizwe, pour qui « dans chaque civilisation, le passé sert de miroir au présent. Nous avons besoin de construire des mythes qui peuvent nous unir ».
C’est pourquoi les auteurs congolais, jugés plus « patriotes » et plus à même de partager le « ressenti » des lecteurs, ont la cote auprès de Mlimani. L’objectif est d’offrir aux jeunes générations des outils intellectuels pour « se révolter et savoir ce qu’il faut faire de l’avenir », comme l’explique Steven Sikubwabo, étudiant en droit et participant régulier des ateliers.
Une dynamique porteuse d’espoir
L’initiative de Mlimani fait des émules. D’autres projets de maisons d’édition locales ont vu le jour dans son sillage. Pour Martin Lukongo, l’imprimeur attitré de la maison, cette dynamique est prometteuse à plus d’un titre : « C’est encourageant pour les jeunes lecteurs, mais aussi pour ceux qui sont prêts à écrire. Vous n’êtes pas obligés d’envoyer vos livres ailleurs pour pouvoir les vendre ici ».
Dans une région où la jeunesse est trop souvent associée à la violence et à l’instabilité, l’aventure de Mlimani montre qu’une autre voie est possible. Celle d’une jeunesse curieuse, avide d’apprendre et de comprendre, qui veut se réapproprier son histoire et son destin. Une jeunesse qui, livre après livre, combat après combat, construit l’espoir d’un avenir meilleur.