Une décision de justice vient de relancer le débat sur la liberté d’expression dans les universités françaises. Le tribunal administratif de Paris a en effet ordonné à Sciences Po, l’un des plus prestigieux établissements d’enseignement supérieur du pays, de permettre la tenue d’une conférence de l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan.
Cette conférence, organisée par l’association étudiante Students for Justice in Palestine (SJP) et intitulée “Perspectives humanitaires, juridiques et géopolitiques sur un embargo sur les armes à Israël”, avait été initialement interdite par la direction de Sciences Po. L’école invoquait des risques de troubles à l’ordre public pour justifier cette décision.
La justice enjoint Sciences Po de trouver une nouvelle date
Mais dans son ordonnance, le juge des référés a estimé qu’aucun élément circonstancié ne permettait de considérer que cette conférence inciterait à des actions illégales. Il a aussi relevé qu’en l’absence d’appel à des contre-manifestations, la direction de l’IEP pouvait éviter d’éventuels heurts en recourant à d’autres mesures que l’interdiction pure et simple.
Le tribunal enjoint à Sciences Po Paris de permettre la tenue de cette conférence dans des conditions garantissant son bon déroulement et de nature à prévenir les risques de troubles à l’ordre public.
Le tribunal administratif de Paris
Le tribunal a donc ordonné à Sciences Po de laisser se tenir la conférence, tout en lui demandant de trouver une nouvelle date et de mettre en place les mesures nécessaires pour assurer son bon déroulement. Une “immense victoire” selon Rima Hassan, qui a salué la décision sur les réseaux sociaux.
Sciences Po va faire appel
De son côté, la direction de Sciences Po a annoncé qu’elle ferait appel de cette décision. Dans un communiqué, l’école souligne qu’un appel à manifester devant ses locaux a été lancé quelques minutes après le jugement, caractérisant selon elle un “risque de trouble à l’ordre public”.
La liberté d’expression est pleinement assurée à Sciences Po, elle ne saurait se traduire par un droit à y causer des troubles.
Sciences Po Paris
Une atteinte “grave et illégale” à la liberté d’expression selon le juge
Mais pour le juge administratif, en interdisant cette conférence, Sciences Po a porté une atteinte “grave et manifestement illégale” à la liberté d’expression et de réunion, pourtant garantie aux usagers de l’enseignement supérieur. Une analyse partagée par l’avocat de Rima Hassan, qui y voit “la confirmation que la décision prise était illégale”.
Le juge administratif a assuré son rôle de gardien des libertés à un moment où les expressions relatives à la Palestine sont trop souvent censurées en dépit de la situation d’extrême gravité à Gaza.
Me Vincent Brengarth, avocat de Rima Hassan
Plusieurs universités ont interdit des conférences de Rima Hassan
Ce n’est pas la première fois que la venue de Rima Hassan, élue de La France Insoumise au Parlement européen, suscite la polémique dans les universités françaises. Ces derniers mois, plusieurs établissements avaient aussi interdit la tenue de ses conférences:
- L’université de Lille, dans le nord
- L’université Paris-Dauphine, qui a finalement dû revenir sur sa décision suite à une injonction judiciaire similaire
- L’université de Strasbourg, dans l’est, cette semaine encore
Le cas de Rima Hassan, juriste de 32 ans devenue la porte-parole de la cause palestinienne dans l’hémicycle européen, concentre les tensions autour de la liberté académique et de l’expression sur les campus universitaires français. Un débat particulièrement vif lorsqu’il s’agit du conflit israélo-palestinien, sujet hautement sensible et clivant.
Un équilibre fragile entre liberté d’expression et maintien de l’ordre
Pour les universités, l’équation est délicate. Elles doivent assurer la liberté d’expression, socle de la vie académique, tout en veillant à préserver l’ordre public sur leurs campus. Une mission d’équilibriste rendue encore plus complexe par le climat de tensions qui entoure certains sujets brûlants comme le conflit au Proche-Orient.
Le jugement concernant Sciences Po, et les précédents similaires, tendent à montrer que la justice considère que cet équilibre penche trop souvent du côté de la restriction ces derniers temps. Une tendance inquiétante pour les défenseurs de la liberté d’expression, qui y voient une forme de censure préventive difficilement justifiable dans un État de droit.
Reste à savoir maintenant quand et dans quelles conditions la conférence de Rima Hassan pourra finalement se tenir à Sciences Po. Et surtout, si ce jugement marquera un coup d’arrêt aux interdictions de ce type, ou si au contraire la polémique est appelée à rebondir sur d’autres campus. Une chose est sûre : le débat est loin d’être clos.