Au Mali, la justice vient de décider le maintien en détention d’Étienne Fakaba Sissoko, un éminent universitaire connu pour ses critiques à l’égard de la junte militaire au pouvoir. Malgré une première décision ordonnant sa remise en liberté, M. Sissoko reste derrière les barreaux après le renvoi surprise de son procès en appel ce lundi. Une affaire qui soulève des inquiétudes quant à la liberté d’expression dans un pays en proie à une crise politique profonde.
Une voix critique réduite au silence
Étienne Fakaba Sissoko, chercheur respecté et professeur à la Faculté des sciences économiques de Bamako, est l’une des rares personnalités à oser encore exprimer publiquement des opinions critiques envers les autorités maliennes. Son engagement lui vaut aujourd’hui de lourdes poursuites judiciaires. Incarcéré depuis fin mars, il avait été condamné en mai à 2 ans de prison, dont un an ferme, pour “atteinte au crédit de l’État”, “injures” et “diffusion de fausses nouvelles”.
Au cœur des accusations, la publication en 2023 d’un ouvrage dans lequel M. Sissoko dénonce les méthodes de communication de la junte, basées selon lui sur “la propagande, l’agitation, la manipulation et même le mensonge”. Des propos qui n’ont pas été du goût du pouvoir en place, issu du coup d’État de 2020 ayant renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, dont M. Sissoko était un ancien conseiller.
Un procès en appel au goût amer
L’espoir d’une libération s’était pourtant dessiné pour l’universitaire mi-octobre, lorsque la justice avait accédé à sa demande de remise en liberté provisoire dans l’attente de son procès en appel. Mais le répit aura été de courte durée. Un pourvoi immédiat du parquet a suspendu l’application de cette décision.
Ce lundi, nouveau coup de théâtre lors de l’ouverture du procès en appel tant attendu. Arguant d’un vice de procédure, la cour a décidé de renvoyer le dossier au 2 décembre prochain. Dans la foulée, elle a surtout ordonné le maintien en détention de M. Sissoko. Une décision incompréhensible pour ses proches, qui dénoncent un acharnement judiciaire motivé par des considérations politiques.
Nous sommes très inquiets mais Étienne garde la tête haute. Il compte prouver son innocence et rétablir la vérité.
Un proche d’Étienne Fakaba Sissoko
La liberté académique en danger
Pour de nombreux observateurs, le cas Sissoko illustre la réduction de l’espace des libertés au Mali, en particulier la liberté d’expression et le débat démocratique. Depuis le putsch de 2020, les autorités de transition font l’objet de critiques récurrentes pour leur gestion de la dissidence et les atteintes aux droits fondamentaux.
Dans le milieu universitaire, cette affaire fait figure d’avertissement pour tous ceux qui voudraient exprimer des opinions contraires à la ligne officielle. Face à la détermination du pouvoir à faire taire les voix critiques, beaucoup redoutent un dangereux précédent pour la liberté académique et le pluralisme des idées.
Un pays sous tension
Au-delà du cas individuel d’Étienne Fakaba Sissoko, c’est le climat politique global du Mali qui inquiète. Confronté à une grave crise sécuritaire liée aux groupes jihadistes, le pays reste profondément divisé deux ans après le dernier coup d’État militaire. Les dissensions entre la junte et une partie de la classe politique et de la société civile rendent difficile toute perspective de normalisation.
Dans ce contexte, le sort réservé aux détracteurs du pouvoir, comme M. Sissoko, est scruté avec attention. Il en dit long sur l’état de la démocratie malienne et les défis immenses qui restent à relever pour restaurer un véritable État de droit. En attendant, un universitaire croupit en prison pour avoir osé penser différemment. Un terrible gâchis pour le Mali, qui aurait tant besoin des lumières de ses intellectuels pour construire son avenir.