L’annonce dimanche de la condamnation à mort du célèbre rappeur iranien Amir Tataloo pour « insulte au prophète » a suscité une vague d’indignation et de préoccupation internationale. Mais alors que son sort semblait scellé, la justice iranienne vient jeter le trouble en affirmant mercredi qu’aucun « verdict définitif » n’a été prononcé à son encontre.
Condamnation à mort démentie par la justice
Citant des « sources judiciaires », le journal réformiste Etemad avait rapporté dimanche que le chanteur de 37 ans avait été condamné à mort en appel pour blasphème, un jugement qui pouvait encore faire l’objet d’un ultime recours devant la Cour suprême. Mais le porte-parole de l’autorité judiciaire Mizan Online a nié l’information. « Aucun verdict définitif n’a encore été rendu » contre Amir Tataloo, de son vrai nom Amir Hossein Maghsoodloo, a déclaré Massoud Setayeshi.
Cette rétropédalage soudain de la justice iranienne sème le doute et la confusion sur le sort réel du controversé rappeur, qui s’était exilé en Turquie en 2018 après plusieurs arrestations et l’interdiction de se produire dans son pays. Arrêté en octobre dernier à Istanbul, il avait été extradé vers l’Iran sur ordre d’un tribunal de Téhéran pour être jugé pour divers motifs dont « corruption sur terre », « incitation des jeunes à la perversion », « outrage aux valeurs sacrées de l’Islam » et « propagande contre le régime ».
Une figure clivante et harcelée par le régime
Connu pour ses textes critiques envers la société iranienne, Amir Tataloo est adulé par une partie de la jeunesse mais conspué par les autorités qui voient en lui le symbole d’une « décadence occidentale ». Son look atypique, avec ses multiples tatouages et piercings, ses clips déjantés et sa musique mêlant rap, pop et sonorités iraniennes traditionnelles, heurtent les valeurs de la République islamique. Malgré (ou grâce à) cela, il est suivi par des millions de fans sur Instagram, ce qui en fait l’un des artistes les plus populaires du pays.
Mais cette notoriété lui a valu d’être dans le collimateur permanent du pouvoir, qui voit d’un très mauvais œil son influence sur la jeunesse. Interdit de se produire, censuré, arrêté à de multiples reprises, Amir Tataloo subit depuis des années le harcèlement des autorités. En 2016, il avait été emprisonné pendant plusieurs mois pour « atteinte à la sécurité publique ». Sa rencontre controversée en 2017 avec l’ancien président ultra-conservateur Ebrahim Raïssi, aujourd’hui Guide suprême, n’avait pas apaisé ses relations avec le régime.
Un symbole de la répression de la liberté d’expression en Iran
Depuis le déclenchement du mouvement de contestation contre le régime en septembre dernier, déclenché par la mort de la jeune Mahsa Amini, les artistes et personnalités soutenant les manifestants sont particulièrement ciblés par la répression. Plusieurs ont été arrêtés, dont le rappeur Toomaj Salehi, emprisonné en octobre pour avoir critiqué le gouvernement. D’autres ont été contraints à l’exil, comme la légende du football Ali Daei, qui a dû fuir après avoir affiché son soutien aux protestataires.
La répression ne se limite pas à étouffer les manifestations dans la rue, mais cherche aussi à faire taire toutes les voix discordantes, notamment dans le milieu culturel.
Shadi Sadr, avocate des droits humains iranienne
Le cas Amir Tataloo est emblématique de ce durcissement contre la liberté d’expression en Iran. Avec ou sans condamnation à mort, son sort reste très incertain et inquiétant dans un pays où blasphème, apostasie et homosexualité peuvent être punis de la peine capitale. Selon des ONG, l’Iran a exécuté plus de 580 personnes en 2022, dont certaines pour des motifs liés à la liberté d’expression. Un bien triste record qui risque de s’alourdir encore en 2023 si rien ne change.
Pour l’heure, les appels à libérer Amir Tataloo se multiplient, aussi bien en Iran qu’à l’international, relayés sur les réseaux sociaux avec le hashtag #FreeAmirTataloo. Des pétitions ont été lancées, des artistes se mobilisent, espérant faire plier le régime. Mais comme pour des milliers d’autres prisonniers politiques ou d’opinion incarcérés en Iran, le chemin vers la liberté s’annonce long et semé d’embûches. En attendant, le silence et la confusion des autorités sur son sort laissent craindre le pire pour le « rebelle du rap iranien ».