Sur l’île sud-coréenne de Ganghwa, située à seulement 2 kilomètres de la frontière avec la Corée du Nord, les nuits paisibles bercées par les bruits de la nature ont laissé place à un inquiétant concert. Depuis plusieurs mois, les habitants sont assaillis par des sons à glacer le sang, véritable campagne de guerre psychologique orchestrée par le régime de Pyongyang. Bienvenue dans cet étrange conflit, où les armes sont des haut-parleurs et les blessures, invisibles.
Une Île Sous Le Feu Des Haut-parleurs Nord-coréens
Ganghwa, connue pour ses paysages bucoliques de montagnes et de rizières, se retrouve depuis juillet dernier au cœur d’une singulière bataille. Chaque nuit, des haut-parleurs nord-coréens crachent un tintamarre effroyable en direction de l’île : coups de feu, hurlements fantomatiques, rires sinistres… Un véritable “bombardement” sonore qui met les nerfs des insulaires à rude épreuve.
Cette offensive sonore serait une riposte à la reprise par l’armée sud-coréenne de la diffusion de musique K-pop et d’informations internationales le long de la frontière. Une mesure qui faisait elle-même suite à l’envoi par le Nord de ballons chargés d’immondices vers le Sud. Dans cette surenchère, c’est désormais Ganghwa qui se retrouve en première ligne.
De La Propagande Aux Cris De Loups
Si par le passé, les haut-parleurs nord-coréens diffusaient de la propagande vantant le régime de Pyongyang, ils servent aujourd’hui des desseins plus sombres. “Ce sont des hurlements de loups, des bruits de fantômes”, raconte Ahn Hyo Chol, habitant de 66 ans. “C’est désagréable. Ça me donne des frissons.”
D’après Park Heung-yeol, conseiller municipal, l’objectif est clair : “Ce n’est pas de la simple propagande du régime. Cela vise vraiment à tourmenter les gens.” Et les effets sont bien réels pour la population.
Insomnies Et Anxiété Au Son Des Haut-parleurs
An Mi-hee, 37 ans, témoigne des conséquences de ces nuits sous les décibels nord-coréens : “Je me retrouve à prendre des médicaments contre les maux de tête presque tout le temps”, confie-t-elle, évoquant également anxiété, douleurs oculaires, tremblements et somnolences. “Nos enfants ne peuvent pas dormir non plus. Ils développent des aphtes et ils s’endorment à l’école.”
Selon des experts, une exposition nocturne à plus de 60 décibels augmente les risques de troubles du sommeil. Or à Ganghwa, les bruits nord-coréens atteignent jusqu’à 80 décibels. La privation de sommeil et le bruit assourdissant sont des formes de torture bien connues, rappellent-ils.
Une Combine Pour Couvrir La Propagande Sud-coréenne ?
Si les autorités sud-coréennes peinent à trouver une parade, certains experts avancent une hypothèse quant aux motivations de Pyongyang. Ce vacarme viserait en réalité à couvrir la propagande diffusée par les haut-parleurs du Sud, de peur qu’elle n’incite des soldats nord-coréens à la défection.
Un cas s’était justement produit en août dernier, juste après la reprise des émissions de propagande par Séoul. Un soldat du Nord avait réussi à passer au Sud, encouragé, selon certains, par les messages diffusés. Mais pour d’autres spécialistes, cette théorie ne tient pas, les haut-parleurs nord-coréens étant tournés vers le Sud et non vers leurs propres troupes.
Ganghwa, Victime Collatérale Des Tensions Intercoréennes
Prise en étau entre les deux Corées, l’île de Ganghwa subit de plein fouet les tensions entre les frères ennemis. Ses habitants, otages impuissants de cette guerre des haut-parleurs, en payent le prix fort. “Je préférerais une inondation, un incendie ou même un tremblement de terre”, confie An Mi-hee, “car pour ces événements on sait toujours qu’on finira par s’en remettre”. Mais face à ce fléau sonore, c’est l’incertitude qui règne.
À Séoul, les appels se multiplient pour trouver une solution. Car si les haut-parleurs se sont tus côté Sud, après un accord entre les deux pays en 2018, ceux du Nord continuent chaque nuit leur sinistre mélodie. Les habitants de Ganghwa, eux, oscillent entre colère et résignation. “On n’en sait tout simplement rien”, soupire Mme An au sujet d’une possible fin de ce calvaire sonore. Une chose est sûre : sur l’île, le front est désormais aussi dans les oreilles.