Imaginez un monde où votre baguette, votre steak ou votre camembert ne viennent plus de France, mais d’un continent lointain où les normes sont bien plus souples. Un monde où, en cas de conflit majeur, les rayons des supermarchés se vident en quelques jours. Ce n’est pas de la science-fiction : c’est le scénario que la ministre de l’Agriculture a décrit sans détour devant les professionnels réunis à Rungis.
« La guerre agricole se prépare » : des mots qui font frissonner
Lundi matin, au cœur du plus grand marché de produits frais au monde, la ministre n’a pas mâché ses mots. « Si nous sommes réunis ici, c’est que la guerre agricole se prépare », a-t-elle lancé. Une formule choc qui a immédiatement fait le tour des réseaux et des rédactions.
Derrière l’expression guerrière se cache une réalité brutale : la France, première puissance agricole européenne, voit ses fondations trembler sous l’effet combiné de plusieurs tempêtes. Et le temps presse.
Un réveil brutal après des décennies d’illusions
La guerre en Ukraine, les droits de douane américains, les taxes chinoises… Tous ces événements récents ont balayé ce que la ministre appelle « l’illusion » d’une prospérité agricole éternelle. Pendant que l’Europe discutait de décroissance et de réduction d’intrants, les grandes puissances, elles, réarmaient leur « puissance verte ».
Toutes ces puissances anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte. Et pendant ce temps, sur notre continent, nous devons lutter contre les tentations de la décroissance.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et ils sont accablants.
| Pays / Zone | Évolution du financement agricole par habitant depuis 2014 |
|---|---|
| Chine | +40 % |
| États-Unis | +86 % |
| Russie | +15 % |
| Union européenne | -19 % |
Cette divergence d’investissement n’est pas anodine. Elle traduit une volonté stratégique claire chez les concurrents de la France.
2025 : l’année du basculement historique
Pour la première fois depuis près d’un demi-siècle, la balance commerciale agricole française pourrait plonger dans le rouge dès l’année prochaine. Un symbole fort pour un pays qui a toujours fièrement affiché son excédent agroalimentaire.
Ce n’est pas un accident. C’est le résultat de plusieurs lames de fond qui frappent de concert l’agriculture hexagonale.
Les cinq menaces qui pèsent sur nos agriculteurs
La ministre en a listé cinq, avec une clarté rare :
- L’érosion des forces humaines : un actif agricole sur deux partira à la retraite dans les dix prochaines années.
- La volatilité extrême des prix des matières premières et de l’énergie.
- Le poids écrasant des charges sociales et administratives.
- Le dérèglement climatique qui rend chaque campagne plus incertaine.
- Et enfin, nos propres choix de consommation.
Ce dernier point est particulièrement sensible. En soixante ans, la part de l’alimentation dans le budget des ménages français est passée de 35 % à moins de 20 %. Nous dépensons proportionnellement deux fois moins pour nous nourrir qu’en 1960.
Conséquence directe : une pression à la baisse constante sur les prix payés aux producteurs, au profit d’une alimentation toujours moins chère… et souvent importée.
Le patriotisme alimentaire : plus qu’un slogan
Face à cette situation, la ministre appelle à un « grand réveil alimentaire » et à un véritable patriotisme alimentaire. Derrière le terme se cache une idée simple : accepter de consacrer une part un peu plus importante de notre budget à une alimentation locale, de qualité, respectueuse des normes françaises.
Car si nous continuons à privilégier systématiquement le moins cher, nous scierons la branche sur laquelle nous sommes assis.
L’accord Mercosur dans le viseur
La ministre a été particulièrement ferme sur le projet d’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur. Elle a réitéré son opposition totale et prévenu : si la Commission européenne ne bloque pas cet accord, elle prendra elle-même des mesures nationales.
J’interdirai moi-même les importations sur notre sol de produits contenant des substances interdites en Europe comme le droit européen me le permet.
Une menace à peine voilée qui montre à quel point le sujet est explosif.
Et si la guerre éclatait vraiment ?
Le passage le plus marquant du discours reste sans doute celui-ci :
La guerre, la vraie, n’a plus rien d’impossible, chaque jour nous le rappelle. Il nous faut nous y préparer. Si elle éclate, que les Français le comprennent bien, c’est sur nos agriculteurs, et sur eux seuls, qu’il faudra compter pour nous nourrir.
Ces mots résonnent comme un électrochoc. En cas de conflit majeur, les routes maritimes pourraient être coupées, les importations stoppées net. Et là, seule une agriculture nationale solide pourrait éviter la pénurie.
La souveraineté alimentaire n’est plus une question théorique. Elle devient une question de survie.
Vers un sursaut collectif ?
Le discours de Rungis n’était pas seulement un constat d’alarme. C’était aussi un appel. Un appel aux consommateurs, aux élus, aux partenaires européens. Un appel à cesser de considérer l’alimentation comme une variable d’ajustement budgétaire.
Car derrière chaque statistique, derrière chaque pourcentage, il y a des femmes et des hommes qui se lèvent à l’aube pour nourrir le pays. Des exploitations qui disparaissent, des jeunes qui ne reprennent plus les fermes familiales, des territoires qui se désertifient.
La « guerre agricole » n’est peut-être pas encore déclarée. Mais elle se prépare bel et bien, champ par champ, silo par silo, rayon de supermarché par rayon de supermarché.
À nous de choisir de quel côté nous voulons être quand elle éclatera.
Car comme l’a rappelé la ministre avec gravité : le jour où il faudra vraiment compter sur nos agriculteurs pour nous nourrir, il sera trop tard pour regretter de ne pas les avoir soutenus quand il en était encore temps.









