Que feriez-vous si, en tant que dirigeant d’un pays, vous deviez choisir entre légaliser une pratique controversée ou accorder une grâce à des condamnés ? C’est le dilemme déchirant au cœur de La Grazia, le nouveau film de Paolo Sorrentino, présenté en ouverture de la 82e Mostra de Venise. Ce long-métrage, porté par l’immense Toni Servillo, invite à une plongée introspective dans l’âme d’un président fictif, confronté à des choix qui ébranlent ses convictions. Une œuvre qui mêle politique, deuil et réflexions sociétales, tout en captivant par sa sobriété et sa profondeur.
Un Président face à ses démons
Dans La Grazia, Sorrentino nous transporte au cœur du palais du Quirinal, résidence du président italien. Toni Servillo, fidèle collaborateur du cinéaste, incarne Mariano de Santis, un chef d’État veuf, marqué par la perte de son épouse. Cet ancien juge, catholique fervent, approche de la fin de son mandat, mais les dernières semaines de son pouvoir le confrontent à des décisions d’une rare intensité. Entre la légalisation de l’euthanasie, sujet brûlant dans une Italie encore influencée par l’Église, et la possibilité de gracier deux prisonniers condamnés pour meurtre, Mariano vacille. Ces choix ne sont pas seulement politiques : ils touchent à l’essence même de ses valeurs.
Le film s’inspire d’un fait réel : une grâce accordée en 2019 à un homme ayant mis fin aux souffrances de sa femme atteinte d’Alzheimer. Bien que Sorrentino précise qu’aucun personnage réel n’est représenté, les parallèles avec des figures publiques contemporaines, comme le président italien actuel, ajoutent une couche d’actualité à l’œuvre. Cette tension entre fiction et réalité rend La Grazia particulièrement percutant.
L’Euthanasie : un débat au cœur du film
L’un des thèmes centraux de La Grazia est la question de l’euthanasie. Dans un pays où l’Église catholique exerce encore une influence notable, la légalisation du suicide assisté divise profondément. Mariano, poussé par sa fille, une avocate engagée, doit décider s’il promulgue une loi autorisant cette pratique. Ce choix le place dans une position intenable : sera-t-il perçu comme un meurtrier par ceux qui s’y opposent, ou comme un tortionnaire par ceux qui défendent le droit à mourir dans la dignité ?
« Le dilemme moral est un formidable moteur narratif, plus puissant que n’importe quel autre procédé narratif généralement utilisé au cinéma. »
Paolo Sorrentino, lors de la conférence de presse à Venise
Ce questionnement n’est pas abordé de manière didactique. Sorrentino évite les jugements hâtifs pour laisser place à une réflexion nuancée. À travers le regard tourmenté de Mariano, le spectateur est invité à s’interroger : où se situe la frontière entre compassion et morale ? Le film ne donne pas de réponse claire, mais il ouvre un espace de dialogue, rare dans le cinéma contemporain.
La Grâce : plus qu’un acte juridique
Le titre du film, La Grazia, fait référence à la grâce présidentielle, un pouvoir exceptionnel qui permet au président italien de pardonner des condamnés. Dans le film, Mariano doit statuer sur le sort de deux prisonniers, chacun ayant tué son conjoint dans des circonstances dramatiques. Ce choix, tout comme celui de l’euthanasie, met en lumière la complexité des décisions humaines. Sorrentino explique que la grâce n’est pas seulement un instrument juridique, mais aussi une attitude face à la vie, marquée par l’amour et la compassion.
La grâce, dans La Grazia, devient une métaphore : celle d’un homme cherchant à réconcilier ses convictions avec les attentes du monde. C’est un acte d’amour, mais aussi un fardeau.
Cette idée résonne particulièrement dans les scènes où Mariano dialogue avec sa fille. Leur relation, tendue par des années de distance et de deuil, devient le miroir des dilemmes du président. Sorrentino excelle à montrer comment les décisions publiques d’un homme d’État sont intimement liées à ses luttes personnelles.
Un style cinématographique plus sobre
Les habitués du cinéma de Sorrentino, connu pour son esthétisme flamboyant dans des œuvres comme La Grande Bellezza ou Parthénope, pourraient être surpris par la retenue de La Grazia. Exit les envolées baroques : le cinéaste opte pour un style plus réaliste, tout en conservant sa signature visuelle. Les plans soignés, la photographie léchée et la bande originale mêlant rap et techno restent présents, mais ils servent ici une narration plus introspective.
Ce choix stylistique reflète l’état d’esprit de Mariano : un homme austère, en quête de sens. Les décors du Quirinal, majestueux mais froids, renforcent cette atmosphère de solitude. Sorrentino utilise ces éléments pour ancrer son récit dans une réalité palpable, tout en laissant place à des touches de poésie.
Toni Servillo : une performance magistrale
Au cœur de La Grazia, Toni Servillo livre une performance d’une intensité rare. À 66 ans, l’acteur incarne un président à la fois rigide et vulnérable, dont chaque regard trahit une lutte intérieure. Sa collaboration avec Sorrentino, la huitième, prouve une fois de plus leur alchimie unique. Servillo apporte une humanité désarmante à Mariano, faisant de lui un personnage universel, loin des caricatures habituelles des hommes politiques au cinéma.
Anna Ferzetti, dans le rôle de la fille de Mariano, complète ce duo avec une prestation tout aussi convaincante. Leur relation, faite de silences et de non-dits, est l’un des points forts du film. Elle illustre comment le pouvoir peut isoler, même au sein de la famille.
Un film aux multiples lectures
Si l’euthanasie et la grâce sont au cœur de La Grazia, le film explore également des thèmes universels comme le deuil, la solitude et les relations familiales. Mariano, hanté par la mort de son épouse, incarne une figure tragique, incapable de combler le vide laissé par cette perte. Sa fille, à la fois alliée et adversaire, représente une génération qui bouscule les traditions.
Contrairement à d’autres films récents sur des thèmes similaires, comme La chambre d’à côté de Pedro Almodóvar, La Grazia ne se concentre pas uniquement sur la mort. Il embrasse une palette d’émotions, de l’amour à la responsabilité, en passant par le poids des choix. Cette richesse thématique fait du film une œuvre accessible, mais jamais simpliste.
Thème | Description |
---|---|
Euthanasie | Débat sur la légalisation dans un contexte religieux et politique. |
Grâce présidentielle | Pouvoir de pardonner, reflet d’une posture morale et humaine. |
Deuil | Impact de la perte d’un conjoint sur les décisions personnelles. |
Solitude | Isolement d’un homme de pouvoir face à ses responsabilités. |
Sorrentino et la Mostra : un retour triomphal
Avec La Grazia, Sorrentino signe un retour remarqué à Venise, où il avait déjà brillé avec La Main de Dieu, récompensé par un Lion d’Argent en 2021. Ce nouveau film, projeté en avant-première mondiale, s’inscrit dans la lignée de ses œuvres les plus introspectives. Après l’esthétisme poussé de Parthénope, présenté à Cannes, Sorrentino montre ici une facette plus sobre, mais tout aussi maîtrisée.
La Mostra de Venise, fidèle à sa réputation, offre une plateforme idéale pour ce type de cinéma, qui mêle réflexion sociétale et prouesse artistique. La Grazia, prévu pour une sortie en Italie en janvier 2026, promet de marquer les esprits, tant par son sujet que par sa mise en scène.
Pourquoi ce film résonne-t-il autant ?
La Grazia n’est pas seulement un film sur la politique ou l’euthanasie. C’est une méditation sur ce que signifie être humain dans un monde où les choix sont rarement binaires. Sorrentino, à travers Mariano, pose une question universelle : comment rester fidèle à ses valeurs dans un contexte de pression extrême ?
Le film trouve un écho particulier dans une époque où les débats sur la fin de vie et la justice sont omniprésents. En Italie, où la société oscille entre tradition et modernité, La Grazia agit comme un miroir, reflétant les tensions d’un pays en mutation. Mais au-delà du contexte local, c’est la dimension universelle du film qui touche : qui n’a jamais été confronté à un choix impossible ?
« La grâce n’est pas seulement un instrument juridique, mais aussi une attitude envers le monde et la vie, une attitude d’amour. »
Paolo Sorrentino
Cette citation résume l’essence du film : une exploration de l’amour sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de l’amour perdu, de l’amour filial ou de l’amour des idéaux. Sorrentino, en véritable maître, transforme ces thèmes en une œuvre cinématographique qui ne laisse personne indifférent.
Un cinéma qui questionne la société
Si le cinéma n’a plus, selon Sorrentino, l’impact dévastateur d’autrefois, il reste un outil puissant pour éclairer des sujets complexes. La Grazia ne cherche pas à imposer une vision, mais à susciter la réflexion. En abordant des thèmes comme l’euthanasie ou la grâce, le film s’inscrit dans un débat plus large sur la responsabilité des dirigeants et des citoyens.
À travers Mariano, Sorrentino dresse le portrait d’un homme politique idéal, loin des clichés de corruption ou de cynisme. C’est un homme qui, malgré ses failles, aspire à incarner des valeurs nobles. Ce contraste entre l’idéal et la réalité rend le film d’autant plus poignant.
- Politique humaniste : Un président guidé par des valeurs morales, rare dans le cinéma.
- Conflit familial : Une relation père-fille au cœur des tensions personnelles et publiques.
- Réalisme assumé : Un style sobre qui tranche avec les excès baroques de Sorrentino.
- Débats sociétaux : Euthanasie et grâce, deux sujets brûlants dans l’Italie contemporaine.
Un film à voir absolument
La Grazia est une œuvre qui marie l’intime et l’universel, le politique et le personnel. Avec ce film, Sorrentino prouve qu’il est possible de faire un cinéma à la fois accessible et profond, divertissant et réfléchi. Toni Servillo, magistral, porte cette histoire avec une intensité qui reste en tête longtemps après le générique.
Que vous soyez passionné de cinéma, intéressé par les débats sociétaux ou simplement curieux de découvrir une histoire humaine, La Grazia est un rendez-vous à ne pas manquer. En attendant sa sortie en janvier 2026, le film promet de faire parler de lui, tant à Venise que dans le monde entier.