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La Grande Mosquée de Chine transformée en pagode : la sinisation de l’islam à marche forcée

Imaginez une mosquée majestueuse, avec son dôme vert et ses quatre minarets imposants, soudainement métamorphosée en pagode traditionnelle chinoise. C’est exactement ce qui vient de se produire pour la Grande Mosquée de Shadian, dans le sud de la Chine, suite à la politique de « sinisation » forcée de l’islam menée par Pékin depuis 2018.

La Grande Mosquée de Shadian méconnaissable après sa « rénovation »

Achevés en avril dernier, les travaux de la mosquée de Shadian ont complètement transformé cet édifice de 21 000 mètres carrés, pouvant accueillir jusqu’à 10 000 fidèles. Son dôme vert iconique et ses minarets ont été remplacés par une architecture typique des pagodes, ne laissant comme seul vestige de son passé islamique que les grandes arches de l’entrée, surmontées d’inscriptions en arabe et en chinois.

Cette mosquée emblématique de la province du Yunnan n’est pas un cas isolé. Depuis 2018, les trois quarts des 2300 mosquées chinoises arborant une architecture islamique ont été « rénovées » ou carrément détruites, selon une enquête du Financial Times. L’objectif affiché par le gouvernement : promouvoir « une architecture islamique pleine de caractéristiques chinoises ».

Les minorités musulmanes sous pression

Cette campagne de « sinisation » touche particulièrement les minorités musulmanes du pays, comme les Hui, presque aussi nombreux que les Ouïghours mais jusqu’ici épargnés par la répression brutale qui frappe ces derniers. Pourtant, les Hui gardent le souvenir douloureux du massacre perpétré par l’armée en 1975, faisant près de 2000 victimes parmi eux alors qu’ils tentaient d’ouvrir des mosquées fermées par le parti.

Si les Hui disposent encore d’une relative liberté pour pratiquer leur foi comparé aux Ouïghours, les restrictions se multiplient. Caméras de surveillance dans les mosquées, interdiction aux mineurs de les fréquenter, règles strictes sur l’expression religieuse… Autant de signes inquiétants d’un contrôle croissant de l’État sur l’islam chinois.

L’inquiétude grandit chez les musulmans de Chine

La réouverture de la Grande Mosquée de Shadian pour l’Aïd aurait dû être un moment de joie et de rassemblement pour la communauté musulmane locale. Mais c’est avec un sentiment amer que les fidèles ont découvert leur lieu de culte historique défiguré, ses caractéristiques islamiques gommées au profit d’une esthétique han imposée.

C’est comme si on nous arrachait une partie de notre identité. Cette mosquée était un symbole pour nous, un lien avec notre foi et notre histoire. Maintenant, on a l’impression d’entrer dans un temple chinois…

témoigne un fidèle sous couvert d’anonymat

Au delà de l’architecture, c’est bien la place de l’islam en Chine qui est en jeu. Avec une politique de plus en plus invasive et des restrictions croissantes, nombreux sont ceux qui craignent que la « sinisation » ne soit qu’un autre mot pour l’éradication progressive de leur religion et de leur culture. La transformation radicale de cette grande mosquée apparaît comme un symbole troublant de la volonté du régime de façonner un islam « avec des caractéristiques chinoises », au détriment de son essence et de sa diversité.

Face à cette situation préoccupante, la communauté internationale peine à réagir, tant les leviers d’action sont limités face à la puissance chinoise. Mais à l’heure où Pékin affirme promouvoir un « islam chinois » épuré de toute influence étrangère, l’inquiétude grandit parmi les musulmans du pays, qui craignent de voir leur foi et leur identité progressivement diluées dans le grand moule du « rêve chinois » prôné par Xi Jinping.

La sinisation forcée des mosquées et la pression croissante sur les minorités religieuses soulèvent des questions fondamentales sur la place de la diversité et de la liberté de culte en Chine. Alors que le monde observe, parfois impuissant, cette transformation radicale du paysage religieux chinois, c’est tout un pan de l’histoire et de la richesse culturelle du pays qui semble menacé. Reste à savoir jusqu’où ira cette politique de sinisation à marche forcée, et quelles en seront les conséquences à long terme pour les millions de musulmans chinois.

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