Belgrade, la capitale serbe, s’est retrouvée au cœur d’une vive polémique ce dimanche alors qu’elle commémorait le 80ème anniversaire de sa libération lors de la Seconde Guerre mondiale. Au centre de la controverse : une fresque emblématique célébrant cet événement historique qui a été mystérieusement repeinte, suscitant l’indignation de l’opposition qui accuse les autorités municipales de se livrer à un révisionnisme historique.
La disparition soudaine d’un symbole antifasciste
Jusqu’à récemment, une immense fresque de cinq étages ornait fièrement un bâtiment du centre-ville de Belgrade. Réalisée par le collectif artistique KURS, elle représentait des silhouettes au poing levé, accompagnées d’une citation d’un célèbre combattant partisan. Un symbole fort pour commémorer les sept décennies écoulées depuis la libération de la ville du joug nazi.
Mais à la stupéfaction générale, cette œuvre a été repeinte à peine trois jours avant les célébrations officielles de l’anniversaire, et ce sans le consentement de ses auteurs, comme l’a indiqué le collectif KURS dans un communiqué. Les autorités de l’arrondissement de Stari Grad où se situait la fresque ont annoncé qu’une nouvelle peinture murale la remplacerait, réalisée par des artistes engagés pour l’EXPO 2027 à Belgrade.
Un acte de révisionnisme historique ?
Si la municipalité reste évasive sur les détails de la future fresque, le collectif KURS s’interroge : “Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander qui a un problème avec une peinture murale dédiée à la mémoire des libérateurs de Belgrade et qui a ordonné son enlèvement”. Une incompréhension partagée par le parti d’opposition Front vert-gauche qui pointe du doigt le maire de Belgrade, Aleksandar Sapic.
“Après 80 ans, Aleksandar Sapic continue de mépriser l’héritage antifasciste et de s’engager dans le révisionnisme historique.”
– Front vert-gauche, sur X (anciennement Twitter)
En effet, ces derniers mois, le maire a multiplié les propositions interprétées comme une tentative de saper l’héritage de la Yougoslavie communiste, suggérant notamment de déplacer la tombe de l’ancien dirigeant Josip Broz Tito hors de Belgrade ou de retirer celles d’éminents combattants partisans. En lieu et place, il a proposé d’ériger un monument à la mémoire de Draza Mihailovic, chef d’un mouvement royaliste et nationaliste.
Un anniversaire sous tension
C’est dans ce contexte tendu que Belgrade a célébré ce dimanche les 80 ans de sa libération par les partisans yougoslaves et l’Armée rouge soviétique, qui avaient chassé l’occupant allemand le 20 octobre 1944. Les autorités ont déposé des couronnes en hommage aux combattants tombés au combat et plusieurs cérémonies étaient prévues malgré la polémique.
Mais le spectre du révisionnisme historique plane sur ces commémorations. En plus de la disparition de la fresque antinazie, une autre proposition controversée du maire refait surface : repeindre les nouveaux bus de Belgrade en bleu, couleur de la dynastie serbe médiévale, au lieu du rouge “socialiste”.
Une bataille mémorielle
Au-delà d’une simple question esthétique, c’est une véritable bataille mémorielle qui se joue à Belgrade. D’un côté, ceux qui veulent préserver et honorer l’héritage antifasciste de la ville, incarné par ces œuvres symboliques comme la fresque du collectif KURS. De l’autre, ceux qui semblent vouloir réécrire l’histoire en effaçant les traces de ce passé jugé encombrant.
Le silence du ministère serbe de la Culture, qui avait pourtant financé la fresque originale, interroge également. Face à la bronca suscitée par sa disparition, l’institution n’a pour l’heure pas souhaité commenter. Son mutisme sur ce dossier hautement sensible sera-t-il interprété comme une forme de consentement tacite ?
La mémoire, un devoir et un combat
La conservation de l’héritage antifasciste et la lutte contre le révisionnisme historique ne sont pas des questions réservées aux livres et aux débats d’intellectuels. Ce sont des enjeux éminemment actuels, comme le montre cette vive polémique autour de la destruction d’une “simple” fresque.
Les peintures murales et les monuments, en tant qu’incarnation visible de notre histoire dans l’espace public, constituent des marqueurs mémoriels puissants. Laisser des personnalités politiques les effacer ou les remplacer discrétionnairement revient à menacer la transmission de la mémoire collective aux nouvelles générations.
A Belgrade comme ailleurs, la défense de l’héritage antifasciste exige une vigilance de chaque instant. Car c’est par le souvenir et l’éducation que nous pourrons éviter que les erreurs du passé ne se répètent, et nous assurer que les leçons payées au prix fort par nos anciens continuent d’éclairer notre présent.