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La France en quête des milliards manquants pour sa fibre optique

La France a réussi à fibrer 87% des foyers en 10 ans, un exploit. Mais les derniers raccordements coincent, faute de financements. Les collectivités s'inquiètent : des milliards manquent pour achever ce chantier titanesque. Le plan très haut débit en péril ?

Un exploit en demi-teinte. En l’espace d’une décennie, la France a réussi à raccorder pas moins de 38 millions de foyers à la fibre optique, faisant d’elle un élève modèle en Europe. Près de 87% des Français bénéficient désormais de cette technologie permettant un internet très haut débit. Un chantier titanesque qui aura coûté la bagatelle de 35,7 milliards d’euros selon France Stratégie. Pourtant, derrière ce tableau idyllique se cache une réalité plus sombre : les derniers raccordements sont en train de caler, et l’objectif d’une couverture totale du territoire d’ici 2025 semble compromise.

Dernier kilomètre : le nerf de la guerre

Le déploiement de la fibre avait été divisé en trois zones : les zones très denses (ZTD) prises en charge par les opérateurs privés, les zones moyennement denses sous maîtrise d’ouvrage publique mais réalisées par les opérateurs, et les zones rurales, chasse gardée des collectivités. C’est sur ces dernières que le bât blesse. Car si Orange, SFR et consorts ont rempli leur part du contrat, il reste de nombreux foyers à raccorder dans les campagnes. Des raccordements complexes et coûteux, la fameuse problématique du dernier kilomètre.

Nous avons jusqu’ici repoussé le mur, mais il va être difficile de l’éviter désormais.

Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca

Collectivités locales : la douloureuse addition

Pour les collectivités locales en charge de ces déploiements, la facture est salée. Selon l’Avicca qui les représente, il manquerait entre 2 et 3 milliards d’euros pour boucler le financement des réseaux d’initiative publique (RIP). Des surcoûts liés à la hausse des matières premières et à des études préalables pas toujours fiables sur l’état réel des infrastructures.

L’État a certes mis la main à la poche, débloquant 570 millions d’euros supplémentaires en 2022. Mais cela reste insuffisant pour combler le déficit, d’autant que les marges de manœuvre budgétaires des collectivités se réduisent comme peau de chagrin. Résultat, certains chantiers prennent du retard, quand d’autres sont carrément à l’arrêt. Un coup dur pour les territoires concernés, qui voient s’éloigner la promesse d’un accès au très haut débit pour tous.

L’épineuse question de la pérennité des réseaux

Au-delà du déploiement, c’est la question de la pérennité et de la résilience des infrastructures dans le temps qui inquiète. Car une fois la fibre tirée, encore faut-il l’entretenir et garantir un service de qualité aux abonnés. Or les opérateurs rechignent à mettre la main au portefeuille, arguant que le modèle économique n’est pas viable sur le long terme. Les collectivités, elles, n’ont pas forcément les moyens humains et financiers d’assurer cette maintenance.

Bref, le chantier de la fibre ressemble de plus en plus à un paquebot lancé à pleine vitesse, mais dont on ne sait pas vraiment qui tiendra la barre une fois arrivé à destination. Un flou artistique dommageable, à l’heure où le numérique est devenu un facteur clé d’attractivité et de compétitivité des territoires. Il y a urgence à trouver des solutions pérennes, sous peine de voir le formidable élan de la dernière décennie retomber comme un soufflé.

Quel modèle économique pour la fibre de demain ?

Pour sortir de l’ornière, plusieurs pistes sont sur la table. Certains plaident pour un New Deal entre opérateurs et collectivités, avec un partage plus équitable des investissements et des responsabilités. D’autres militent pour un retour en force de la puissance publique, via des investissements massifs ou des subventions ciblées. Une chose est sûre : il faudra faire preuve d’inventivité pour inventer le modèle économique de la fibre de demain.

Car ne nous y trompons pas : derrière les débats techniques et financiers, c’est bien l’avenir numérique de la France qui se joue. La fibre est un outil indispensable pour réduire la fracture territoriale, favoriser l’innovation et doper la croissance. Encore faut-il s’en donner les moyens, en assumant que cela a un coût. La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics et du régulateur. A eux de fixer un cap clair et ambitieux, pour que le chantier de la fibre ne reste pas à quai.

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