C’est un séisme politique qui s’annonce outre-Manche. Après 14 années d’un règne pour le moins tumultueux, les conservateurs britanniques s’apprêtent à rendre les clés du 10 Downing Street. Si les sondages se confirment, les Tories devraient en effet subir une cuisante défaite lors des élections législatives du 4 juillet, laissant ainsi le champ libre à un Parti travailliste en pleine reconquête. Une page se tourne donc pour le Royaume-Uni, qui aura connu sous l’ère conservatrice l’une des périodes les plus mouvementées de son histoire récente.
Du triomphe du Brexit à l’usure du pouvoir
Pourtant, tout avait si bien commencé pour les Tories. En 2019, portés par la promesse d’un Brexit enfin réalisé, les conservateurs décrochent une victoire écrasante aux élections, offrant à Boris Johnson une confortable majorité pour mettre en œuvre sa vision du divorce avec l’UE. Mais très vite, les choses se compliquent. La pandémie de Covid-19 vient percuter de plein fouet le pays, tandis que les négociations sur la future relation commerciale avec Bruxelles s’enlisent.
Le Brexit a transformé les Tories d’un parti de centre droit en un amalgame instable de populistes radicaux de droite, d’hyper-libertaires et de fondamentalistes du marché.
– Tim Bale, professeur à Queen Mary University
Surtout, la mise en œuvre concrète du Brexit révèle chaque jour un peu plus ses limites et ses effets pervers. Pénuries, inflation, blocages à la frontière irlandaise… Les promesses d’un avenir radieux hors de l’UE se heurtent à la dure réalité économique et géopolitique. Et avec elles, c’est toute la stratégie des conservateurs qui vacille.
L’instabilité chronique des années post-Brexit
En interne, le parti est plus que jamais tiraillé entre les "Brexiters" purs et durs et l’aile modérée. Un clivage politique doublé de profondes inimitiés personnelles, qui vont plonger les Tories dans une instabilité chronique. Pas moins de trois Premiers ministres se succèdent en 3 ans : Boris Johnson, contraint à la démission après le scandale du "Partygate" ; Liz Truss, éjectée après seulement 44 jours suite à son budget controversé ; et Rishi Sunak, incarnation d’une droite plus modérée mais incapable d’endiguer la chute dans les sondages.
Car sur le front économique et social, le bilan des années conservatrices est plus que mitigé. Entre crises à répétition et politiques d’austérité, le niveau de vie des Britanniques s’est dégradé, l’inflation flambe, les services publics accusent le coup. Un constat amer résumé par cette lectrice du Times :
Après 14 ans de gouvernements conservateurs, j’ai l’impression de vivre dans un pays cassé, à bout de souffle. Il est temps de tourner la page.
– Une lectrice du Times
Vers une "révolution" travailliste ?
C’est tout l’enjeu des élections du 4 juillet. Portés par la dynamique Starmer, par un programme de rupture prônant un "reset" complet du Brexit et des années conservatrices, les travaillistes semblent en position de force. Les sondages prédisent une victoire écrasante, voire une possible majorité absolue, du jamais vu depuis Tony Blair.
Pour les conservateurs, l’heure est donc au bilan et à l’introspection. Comment ce parti dominant, qui semblait avoir verrouillé le pouvoir pour des décennies après son triomphe de 2019, a-t-il pu perdre pied à ce point ? Les divisions internes liées au Brexit et l’incapacité à amortir les chocs économiques et sociaux semblent avoir eu raison de l’édifice tory. À moins d’un sursaut improbable, c’est une page de l’histoire politique britannique qui est sur le point de se tourner.
Une chose est sûre : après 14 années aussi mouvementées, le prochain gouvernement, qu’il soit travailliste ou par miracle encore conservateur, aura fort à faire pour relever un pays meurtri et profondément transformé. Le Royaume-Uni post-Brexit et post-Tories reste plus que jamais une équation à plusieurs inconnues.
