Imaginez. Vous êtes dans un train qui file à travers les plaines d’Europe centrale. Soudain, il s’immobilise au milieu de nulle part. Pour passer le temps, une jeune femme engage la conversation avec son voisin de compartiment, un mystérieux quinquagénaire. De fil en aiguille, ils en viennent à échanger sur l’amour, le couple, le mariage. Deux visions du monde diamétralement opposées. Deux époques qui se télescopent. C’est la trame haletante du dernier roman de Stéphane Denis, « La Fin du Sentiment Amoureux », véritable radiographie d’une société en plein bouleversement.
Quand les générations s’affrontent sur l’amour
Au fil de ce huis clos ferroviaire tendu, Denis orchestre une confrontation sans merci entre les valeurs d’antan et les aspirations de la jeunesse actuelle. D’un côté, Munzu, haut fonctionnaire international rompu aux codes traditionnels. De l’autre, Calliope, étudiante pétulante et émancipée. A travers leurs joutes verbales passionnées se dessine le portrait d’un monde où les repères amoureux vacillent.
Le mariage, c’est comme la rougeole, une fois qu’on l’a eue, c’est pour la vie.
Munzu, personnage de « La Fin du Sentiment Amoureux »
Pour Munzu, le mariage est un engagement sacré, un « pour la vie ». Calliope y voit une prison dorée, une entrave à la liberté. Entre eux, le fossé semble infranchissable. C’est toute la question du couple moderne qui se trouve ainsi disséquée, sans concession.
L’amour à l’épreuve du féminisme
Car en filigrane de cette intrigue se profile l’ombre du féminisme et de ses combats. Libérée du joug masculin, la femme contemporaine revendique le droit de vivre l’amour sans entraves ni conventions. Une posture qui heurte frontalement la vision patriarcale de Munzu.
Depuis que les femmes ont pris le pouvoir, la femme que l’on peut aujourd’hui désirer sans risque est la femme des autres.
Extrait de « La Fin du Sentiment Amoureux »
Selon l’auteur, cette émancipation féminine n’est pas sans conséquence. Elle bouleverse en profondeur les rapports de séduction. « Désirer une femme devient un terrain miné », analyse un critique littéraire. Le spectre des violences faites aux femmes plane, brouillant les repères.
Vers une redéfinition du sentiment amoureux ?
Plus qu’un simple roman, « La Fin du Sentiment Amoureux » se veut le miroir sans fard d’une époque déboussolée. Face à la montée de l’individualisme et du consumérisme sentimental, l’amour semble perdre de sa superbe. Fini le temps des passions dévorantes et des serments éternels. Place aux relations « fluides », sans attaches.
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- L’âge moyen du premier mariage ne cesse de reculer
Assiste-t-on pour autant à la « mort » de l’amour ? Rien n’est moins sûr. Le sentiment amoureux semble davantage muter que disparaître. S’affranchissant des carcans traditionnels, il se réinvente, explore de nouveaux horizons. Amours libres, relations ouvertes, polyamour… Les modèles alternatifs fleurissent, bousculant les schémas établis.
L’espoir d’un amour « augmenté »
Et si la « fin du sentiment amoureux » n’était en réalité que le début d’un amour nouveau ? Un amour décomplexé, qui assume sa part d’ombre et de lumière. Un amour « augmenté », qui transcende les genres et les générations. C’est en tout cas la vision que semble défendre Stéphane Denis en filigrane.
L’amour moderne est un risque à prendre. Le risque d’aimer, le risque de souffrir. Mais ce risque nous rend plus vivants que jamais.
Calliope, personnage de « La Fin du Sentiment Amoureux »
Loin des lamentations passéistes, « La Fin du Sentiment Amoureux » se veut finalement porteur d’espoir. L’espoir d’une refondation possible des rapports amoureux, sur des bases plus justes et plus vraies. Un pari audacieux, à l’image d’une génération qui n’a pas dit son dernier mot. Le dernier mot d’un amour en pleine réinvention.