La Réserve fédérale américaine (Fed) est à la croisée des chemins. Après plus d’un an d’une lutte acharnée contre l’inflation galopante via des hausses de taux record, l’institution se trouve aujourd’hui face à un dilemme cornélien. Doit-elle poursuivre sur sa lancée en frappant un grand coup, quitte à risquer de casser la croissance ? Ou est-il plus sage de desserrer doucement l’étau monétaire pour accompagner un ralentissement encore fragile des prix ?
Un contexte économique en mutation
Depuis l’été 2022, la Fed a maintenu son taux directeur dans une fourchette de 5,25% à 5,50%, un niveau inédit depuis 2006. Cette politique monétaire ultra-restrictive visait à endiguer une inflation qui avait atteint des sommets, dépassant les 9% sur un an en juin 2022. Mais au prix d’efforts douloureux, ce fléau semble enfin sur le point d’être dompté.
Les derniers chiffres montrent un net ralentissement de la hausse des prix, retombée à 3% en juin 2023. Un succès indéniable pour la Fed, mais qui place l’institution face à un nouveau défi : comment piloter en douceur ce retour à la normale, sans casser une croissance encore convalescente ?
Les partisans d’une baisse marquée des taux
Pour les “faucons” du comité de politique monétaire, il est temps de récompenser les efforts en baissant franchement le loyer de l’argent. Leur argument phare : redonner de l’oxygène à une économie asphyxiée par un resserrement monétaire d’une ampleur et d’une rapidité inédites.
Une baisse d’un demi-point dès aujourd’hui enverrait un signal fort aux marchés et aux entreprises. La Fed montre qu’elle a fait le plus dur et qu’elle est prête à soutenir l’activité.
– William Dudley, ancien président de la Fed de New York
Ce clan met aussi en avant la dégradation de certains indicateurs avancés, comme l’emploi. Après des mois de dynamisme insolent, les créations de postes marquent le pas. En outre, la contraction du secteur manufacturier depuis trois ans et la situation précaire de certaines banques régionales plaident pour un assouplissement rapide des conditions financières.
Les prudents prônent un resserrement graduel
En face, les “colombes” prêchent pour une approche plus graduelle. Leur crainte ? Relâcher prématurément les efforts et voir l’inflation repartir de plus belle. Car malgré les progrès enregistrés, les tensions restent vives sur certains segments comme le logement ou les services.
N’oublions pas les leçons des années 1970. Une politique trop accommodante peut rapidement faire dérailler les anticipations d’inflation et nous ramener à la case départ.
– Lael Brainard, vice-présidente de la Fed
Selon eux, la prudence reste donc de mise. Mieux vaut procéder par étapes, en commençant par une baisse modérée d’un quart de point, quitte à accélérer le rythme plus tard si les chiffres de l’inflation le permettent. Un scénario qui a les faveurs des marchés financiers, qui attendent une telle décision ce mercredi.
L’emploi et l’immobilier au cœur des débats
Au-delà de l’inflation, deux sujets cristallisent les discussions en coulisses : l’emploi et l’immobilier. Malgré quelques signes de faiblesse, le marché du travail reste solide. Le taux de chômage est au plus bas depuis 50 ans à 3,5%.
Un argument de poids pour les partisans d’un statu quo, qui jugent qu’un marché de l’emploi tendu est incompatible avec une inflation durablement faible. Mais les derniers chiffres déçoivent. Et certains craignent que la remontée des taux pèse excessivement sur les embauches dans les prochains mois.
Autre point d’achoppement : les prix immobiliers. Si la hausse s’est nettement modérée au niveau national, certaines régions comme le Midwest connaissent un regain de fièvre avec des envolées des loyers. Une flambée qui alimente l’inflation sous-jacente, plus inertielle et donc surveillée de près par la Fed.
Une décision lourde de conséquences
Au final, la décision sera lourde de conséquences. Au-delà de son impact immédiat sur les taux d’emprunt et les marchés financiers, elle enverra un signal fort sur les perspectives économiques et la crédibilité de la banque centrale dans la lutte contre l’inflation.
Une certitude : elle aura des répercussions bien au-delà des frontières américaines. Compte tenu du poids de l’économie des États-Unis et du rôle central du dollar dans les échanges mondiaux, les décisions de la Fed influencent la conduite des politiques monétaires de par le monde.
Tous les regards sont braqués vers Washington. Les banques centrales de la planète retiennent leur souffle en attendant le verdict de la Fed.
– Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI
D’autant que nombre d’entre elles sont confrontées au même dilemme que la Fed, partagées entre la nécessité de contenir l’inflation et la volonté de préserver la croissance. La Banque centrale européenne, qui a amorcé son revirement dès juillet, montre toutefois qu’il est possible de sortir par le haut de ce délicat exercice d’équilibriste monétaire.
Alors, quel chemin empruntera la Fed ? Réponse ce mercredi, avec une décision qui s’annonce déjà comme l’une des plus importantes de l’ère Jerome Powell. L’institution joue gros, l’avenir de l’économie américaine et peut-être mondiale en dépend. Et rien n’interdit de penser que l’Histoire retiendra ce moment comme un tournant.