Les élections du 9 juin 2024 en Belgique ont vu une percée spectaculaire de l’extrême droite, en particulier dans la région flamande. Ce séisme politique, qui intervient tant au niveau européen que fédéral, promet de redessiner durablement le paysage politique belge. Décryptage d’un scrutin sous haute tension.
La Flandre, bastion de la droite radicale
C’est en Flandre, la région néerlandophone du nord de la Belgique, que les partis d’extrême droite ont réalisé leurs scores les plus élevés. Le Vlaams Belang, formation nationaliste et populiste, sort grand vainqueur des élections dans cette région.
Surfant sur les thèmes de l’immigration et de l’insécurité, mais aussi sur les velléités d’indépendance d’une partie de la population flamande, le parti a su séduire un électorat en quête de changement radical. Sa progression fulgurante promet de compliquer la formation du prochain gouvernement fédéral.
La coalition Vivaldi vacille
Au niveau national, les partis traditionnels subissent un revers cinglant. La coalition Vivaldi, alliance hétéroclite de sept partis arrivée au pouvoir en 2020 après une crise politique de 16 mois, semble avoir vécu. Son chef de file, le Premier ministre libéral flamand Alexander De Croo, apparaît très fragilisé.
C’est un désaveu sans précédent pour la politique menée ces dernières années. Les électeurs ont exprimé leur ras-le-bol et leur volonté de changement, que nous devons entendre.
– Alexander De Croo, Premier ministre sortant
Un parlement belge morcelé comme jamais
Outre la montée des extrêmes, ces élections législatives ont vu un émiettement inédit des forces politiques à la Chambre des représentants. Pas moins de 12 partis sont désormais représentés, rendant la constitution d’une majorité stable particulièrement ardue.
- Les familles politiques traditionnelles (socialistes, libéraux, démocrates-chrétiens) sortent toutes affaiblies du scrutin, tant au nord qu’au sud du pays.
- Les écologistes limitent la casse mais s’imposent difficilement comme une alternative crédible.
- C’est finalement le camp nationaliste et populiste qui tire son épingle du jeu, avec le Vlaams Belang côté flamand et le Parti du Travail (PTB) marxiste côté francophone.
Quelle coalition pour gouverner la Belgique ?
La fragmentation du paysage politique laisse présager des négociations longues et difficiles pour former un gouvernement. Plusieurs scénarios sont envisageables, mais aucun ne s’impose naturellement :
- Un rééquilibrage de la coalition Vivaldi vers la droite, avec les libéraux et les démocrates-chrétiens flamands, pour contrer la montée des extrêmes
- Un gouvernement minoritaire constitué des seuls partis traditionnels, au risque d’aggraver la défiance envers les élites
- Une alliance inédite incluant le PTB côté francophone, qui apparaît cependant difficilement compatible avec les partis de droite flamands
- Et en cas de blocage persistant, un retour aux urnes anticipé n’est pas à exclure…
Quelles conséquences pour l’Europe ?
Le séisme politique belge aura aussi des répercussions au niveau européen. Avec un contingent renforcé d’eurodéputés Vlaams Belang, la délégation belge comptera parmi les plus eurosceptiques au sein du Parlement de Strasbourg.
Cela promet des débats animés sur des sujets sensibles comme l’immigration ou l’intégration européenne. La Belgique, pourtant traditionnellement très pro-européenne, pourrait bien devenir un élément perturbateur au sein de l’UE.
L’unité de la Belgique en question
Plus fondamentalement, la poussée des nationalismes interroge sur l’avenir même de la Belgique en tant qu’État fédéral. La volonté d’émancipation d’une Flandre prospère et tentation indépendantiste n’a jamais semblé aussi forte.
Si le scénario d’une partition du pays reste peu probable à court terme, ces élections montrent que le divorce entre communautés linguistiques n’a jamais été aussi consommé. De quoi relancer le vieux démon du séparatisme et des réformes institutionnelles.
Il y a clairement deux Belgiques qui émergent de ce scrutin. Une Flandre qui se droitise fortement et une Wallonie ancrée à gauche. Concilier ces aspirations divergentes au sein d’un même pays s’annonce très compliqué.
– Caroline Sägesser, politologue à l’Université libre de Bruxelles (ULB)
Au final, ces élections du 9 juin 2024 marqueront sans doute un tournant dans l’histoire politique belge. Elles mettent en lumière les fractures béantes qui traversent la société : entre le nord et le sud du pays, entre gagnants et perdants de la mondialisation, entre partisans et opposants du projet européen…
La Belgique, souvent présentée comme un laboratoire de la construction européenne avec ses clivages multiples, concentre finalement tous les maux qui minent le Vieux continent. Elle devient le miroir grossissant des forces centrifuges qui agitent l’UE. De la capacité de ses dirigeants à y répondre dépendra l’avenir du “plat pays”.