Depuis près de trois décennies, Rémy Borel est aux premières loges pour constater l’évolution inquiétante de la délinquance juvénile en Seine-Saint-Denis. Cet enquêteur chevronné de la brigade de protection des mineurs tire aujourd’hui la sonnette d’alarme sur une situation qui ne cesse de se dégrader, avec des jeunes de plus en plus violents, une pornographie omniprésente et une influence religieuse rigoriste grandissante.
Une violence décomplexée
« La Seine-Saint-Denis a toujours été un département difficile, mais la violence en elle-même a augmenté », constate Rémy Borel. Là où, il y a trente ans, les affrontements entre jeunes se limitaient souvent à quelques coups échangés, désormais « lors d’une rixe, si un gamin est K.O. à terre, ses adversaires vont continuer de lui asséner des coups de pied à la tête jusqu’au coma, voire la mort. » Une absence totale d’empathie et de limites qui se retrouve à tous les niveaux : « À cause d’une simple remarque, on se sent agressé et on se montrera encore plus agressif, en toutes circonstances. »
L’ampleur du phénomène sous-estimée
Malgré la gravité de certains faits, les affaires de violences impliquant des mineurs en Seine-Saint-Denis peinent à émerger médiatiquement. « Un viol en réunion va plus choquer à Bourges qu’à Bobigny », remarque Rémy Borel, qui y voit une forme de résignation face à l’ampleur du phénomène. Pourtant, il insiste : « Ce n’est pas par désintérêt, mais la presse a peur d’en parler, peur de stigmatiser la Seine-Saint-Denis. » Un silence qui arrange les pouvoirs publics, mais ne contribue pas à une prise de conscience salutaire.
Hypersexualisation et influence rigoriste
Au-delà des violences physiques, Rémy Borel s’inquiète de l’hypersexualisation d’une partie de la jeunesse, nourrie par un accès facilité à la pornographie. « Aujourd’hui, n’importe quel gamin de 12 ans a vu des dizaines de films pornographiques hard, ce qui conditionne sa vision de la sexualité et sa relation aux filles », déplore-t-il. Une dérive favorisée par le manque de contrôle parental et une certaine complaisance de la société. En parallèle, l’enquêteur constate aussi la montée d’une « influence religieuse rigoriste » chez certains jeunes, contribuant à creuser le fossé avec les valeurs républicaines.
Une réponse pénale insuffisante
Manque de moyens et découragement
Face à cette évolution préoccupante, la réponse pénale semble peiner à suivre le rythme.« Les peines prononcées ne sont pas suffisamment lourdes pour être dissuasives », estime Rémy Borel, pointant le manque de moyens de la justice et le découragement de nombreux acteurs de terrain. « Policiers et magistrats sont usés, ils ont parfois le sentiment de vider la mer avec une petite cuillère. » Pourtant, sans une action résolue des pouvoirs publics et un sursaut collectif, le risque est grand de voir la situation continuer à se dégrader.
Prévention et suivi au long cours
Outre la sanction, Rémy Borel plaide pour un renforcement de la prévention, en particulier auprès des familles. « Il faut responsabiliser les parents, les impliquer davantage dans le suivi de leurs enfants », martèle-t-il. L’école a aussi un rôle central à jouer pour détecter les situations à risque et éviter les décrochages. Enfin, un accompagnement au long cours des jeunes délinquants est indispensable pour éviter la récidive et favoriser leur réinsertion. Un travail de longue haleine, qui nécessite des moyens humains et matériels conséquents.
Témoin privilégié d’une dérive inquiétante, Rémy Borel espère aujourd’hui une véritable prise de conscience des pouvoirs publics et de la société dans son ensemble.Car derrière les faits divers sordides et les statistiques alarmantes,ce sont des dizaines de milliers de destins brisés et l’avenir même de la Seine-Saint-Denis qui se jouent. Un combat difficile mais crucial, qui engage notre responsabilité collective.