Alors que le conflit fait rage en Ukraine depuis plus d’un an, la Cour Pénale Internationale (CPI) vient de lancer un nouveau pavé dans la mare. Ce mardi, elle a annoncé avoir émis des mandats d’arrêt à l’encontre de hauts responsables russes, dont le chef d’état-major des armées Valéri Guérassimov et l’ancien ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Ils sont accusés de crimes de guerre, pour avoir orchestré des attaques contre des infrastructures civiles ukrainiennes.
Une nouvelle étape dans les poursuites contre la Russie
Ces mandats d’arrêt marquent une nouvelle escalade dans l’action de la justice internationale face aux exactions commises pendant ce conflit. En mars dernier, la CPI avait déjà émis un mandat contre le président russe Vladimir Poutine pour « crime de guerre de déportation illégale » d’enfants ukrainiens. Mais cette fois, ce sont des hauts gradés de l’armée qui sont visés.
Pour la CPI, il existe « des motifs raisonnables de croire » que MM. Guérassimov et Choïgou portent la responsabilité de frappes de missiles russes ayant délibérément visé des infrastructures civiles en Ukraine entre octobre 2022 et mars 2023. Des attaques qui constituent des crimes de guerre au regard du droit international humanitaire.
Le défi de l’exécution des mandats d’arrêt
Si ces mandats d’arrêt envoient un message fort, leur exécution s’annonce délicate. La CPI n’a pas sa propre police et compte sur la coopération des États pour arrêter les suspects. Or la Russie, qui ne reconnaît pas la compétence de la Cour, a peu de chances de livrer ses ressortissants. D’autant qu’elle a elle-même émis un mandat contre le président de la CPI en représailles.
La décision de la CPI est insignifiante.
– Les autorités russes
Concrètement, les personnes visées risquent surtout d’être arrêtées si elles se rendent dans l’un des 123 pays membres de la CPI. Une situation qui pourrait compliquer leurs déplacements à l’étranger, comme Poutine qui a récemment renoncé à un sommet des BRICS en Afrique du Sud, État partie au Statut de Rome.
L’Ukraine salue « une décision importante »
Kiev s’est félicité de cette nouvelle étape. Pour le président Volodymyr Zelensky, ces mandats montrent que la justice contre les « crimes » russes est « inévitable ». Il attend maintenant « avec impatience d’autres mandats d’arrêt », afin de priver la Russie de son « sentiment d’impunité ».
L’Ukraine, qui subit les assauts russes au quotidien, place beaucoup d’espoir dans la justice internationale. Elle a saisi la CPI dès le début du conflit et coopère activement à l’enquête sur les crimes de guerre présumés commis sur son sol. Des efforts payants puisque la Cour a déjà émis plusieurs séries de mandats d’arrêt.
Une action complémentaire des juridictions nationales
Mais l’action de la CPI est complémentaire de celle des juridictions nationales, qui restent en première ligne. L’Ukraine a ouvert des milliers d’enquêtes sur des crimes de guerre présumés et organisé les premiers procès. Plusieurs pays européens ont aussi lancé des procédures, sur la base de leur compétence universelle pour les crimes les plus graves.
Tous ces efforts combinés envoient un message clair : l’impunité n’est plus une option.
– Karim Khan, procureur de la CPI
Pour autant, obtenir justice prendra du temps. Les enquêtes sont complexes, dans un pays en guerre où l’accès aux preuves et aux témoins est compliqué. Et même en cas de condamnations, se posera la question de l’exécution des peines pour des suspects réfugiés en Russie.
La CPI, un outil de pression politique ?
Au-delà des enjeux judiciaires, ces mandats d’arrêt ont aussi une portée symbolique et politique forte. Pour Moscou, la CPI sert surtout d’outil de pression des pays occidentaux qui cherchent à « discréditer » et « démoniser » la Russie sur la scène internationale. Les autorités russes dénoncent une justice « partiale » et « politisée », rappelant que des puissances comme les États-Unis, la Chine ou Israël ne reconnaissent pas non plus la CPI.
Mais pour les soutiens de l’Ukraine, c’est au contraire la preuve que même les plus hauts dirigeants ne sont pas intouchables. Un moyen de maintenir la pression sur le Kremlin, alors que le conflit s’enlise et que les négociations de paix semblent dans l’impasse.
Une justice internationale encore fragile
Au final, cette affaire illustre toute la complexité et les limites de la justice pénale internationale. Créée en 2002 pour juger les pires crimes, la CPI reste une institution fragile, tributaire du bon vouloir des États. Sans moyens coercitifs propres, elle peine parfois à imposer son autorité face aux intérêts géopolitiques.
Pour gagner en légitimité, la Cour doit démontrer son indépendance et traiter tous les belligérants avec la même rigueur. Un défi de taille alors que les crimes présumés dans ce conflit sont pour l’instant surtout documentés côté ukrainien, faute d’accès au terrain côté russe.
Malgré ces écueils, l’action de la CPI envoie un message essentiel : dans les conflits armés, le droit international humanitaire doit être respecté par tous. Un principe intangible, même si le chemin vers une justice universelle et effective est encore long.