C’est une décision qui fera date. Ce jeudi, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu un arrêt crucial concernant la prostitution. Selon la juridiction européenne, les États sont en droit de pénaliser les clients ayant recours à l’achat de services sexuels. Une prise de position qui conforte la loi française sur le sujet, adoptée en 2016, et ouvre la voie à de nouveaux débats.
La France, pionnière de l’abolition
Avec la loi du 13 avril 2016, la France a fait le choix d’une approche abolitionniste en matière de prostitution. Le texte prévoit notamment la pénalisation des clients, désormais passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 1500€. Dans le même temps, le délit de racolage a été abrogé.
Pour les associations abolitionnistes comme le Mouvement du Nid, il s’agissait d’une avancée majeure, permettant de responsabiliser les “prostitueurs” tout en protégeant les personnes prostituées, considérées comme des victimes. Une vision loin de faire l’unanimité chez les principales concernées.
Ayant moins de clients, ma possibilité de choix s’est réduite. Et depuis cette loi, je me suis vu accepter des pratiques (et des tarifs) que j’avais la possibilité de refuser avant.
A.M., personne prostituée
Des effets pervers pointés du doigt
C’est justement pour dénoncer les conséquences néfastes de la loi que 261 travailleurs du sexe ont saisi la CEDH en 2019. Selon eux, la pénalisation des clients a aggravé la précarité et les risques sanitaires.
- Baisse des revenus et paupérisation
- Prise de risques accrue (rapports non protégés, lieux isolés…)
- Stigmatisation et marginalisation renforcées
- Violences et vols en augmentation
Autant d’éléments qui auraient poussé la prostitution vers la clandestinité, au détriment de la santé et de la sécurité des personnes concernées. Des dommages collatéraux balayés par la CEDH, qui estime que ces phénomènes préexistaient à la loi de 2016.
Un “signal fort” pour l’abolition
Si elle reconnaît les difficultés vécues sur le terrain, la Cour considère que la France a ménagé un “juste équilibre” entre la protection des droits humains et les objectifs de politique publique. La pénalisation des clients n’est donc pas jugée disproportionnée.
Une décision saluée comme un “signal fort” par le gouvernement français et les mouvements abolitionnistes. Selon eux, cet arrêt va encourager d’autres pays européens à suivre la voie de la pénalisation, à l’instar de la Suède ou de l’Irlande.
La décision de la CEDH valide la position abolitionniste de la France. Le corps des femmes n’est pas à vendre. Le désir ne s’achète pas.
Aurore Bergé, ministre chargée de l’Égalité Femmes-Hommes
Un débat loin d’être clos
Si elle conforte le modèle français, la décision de la CEDH est loin de clore le débat sur la prostitution. De nombreuses voix s’élèvent pour défendre une approche réglementariste, encadrant l’activité prostitutionnelle sans la prohiber.
Certains pointent également les limites d’une pénalisation qui reste largement théorique. Depuis 2016, très peu de clients ont effectivement été verbalisés. La priorité serait davantage à l’accompagnement social et sanitaire des personnes prostituées.
Autant d’enjeux qui devraient continuer d’animer les discussions dans les années à venir. Car au-delà des clivages idéologiques, l’objectif affiché est le même pour tous : protéger les personnes vulnérables et lutter contre l’exploitation sexuelle. Un combat de longue haleine.