Imaginez un plateau de tournage niché au cœur d’une végétation luxuriante, à une centaine de kilomètres d’Abidjan. Sous un arbre majestueux, des techniciens s’affairent, des acteurs répètent leurs dialogues, et une caméra capte l’essence d’une histoire profondément ancrée dans la culture africaine. Cette scène, tirée du tournage du film Le Testament, illustre l’ambition grandissante de la Côte d’Ivoire : devenir une terre incontournable du cinéma africain. Dans un continent où l’industrie cinématographique est dominée par le géant nigérian Nollywood, ce pays d’Afrique de l’Ouest trace sa propre voie, portée par une nouvelle génération de créateurs passionnés et un soutien croissant du secteur public.
Un Élan Cinématographique en Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire connaît une effervescence sans précédent dans son secteur audiovisuel. En 2024, le pays a accueilli une trentaine de tournages de films et séries, avec près de 40 projets supplémentaires déjà autorisés. Ce dynamisme témoigne d’une volonté claire : faire de la nation un hub régional pour le cinéma africain. Des productions comme Le Testament, une comédie coproduite avec le Burkina Faso et le Sénégal, mettent en lumière des récits locaux, racontant des histoires qui résonnent avec les réalités du continent. Ce film, qui narre la dispute d’un héritage dans un village ivoirien, incarne l’envie des cinéastes de valoriser leur culture et leur quotidien.
Le pays ne se contente pas de productions locales. Il attire également des réalisateurs internationaux, à l’image de Jean-Pascal Zadi, dont la comédie Le grand déplacement a été tournée à Abidjan. Cette ouverture aux projets étrangers, combinée à un vivier de talents locaux, positionne la Côte d’Ivoire comme une destination de choix pour les tournages en Afrique. Mais derrière cette ambition, quels sont les moteurs et les obstacles de cette révolution cinématographique ?
Une Nouvelle Génération de Conteurs
Le cinéma ivoirien est porté par une vague de jeunes talents déterminés à raconter leurs propres histoires. Shaidate Coulibaly, chargée de production sur Le Testament, incarne cette énergie. À seulement 31 ans, elle observe une industrie en pleine structuration, où les cinéastes et techniciens locaux gagnent en expertise. « La nouvelle génération veut raconter son quotidien, des histoires qui la représentent », confie-t-elle. Cette aspiration à une authenticité culturelle se retrouve dans des projets comme Clash, une série musicale réalisée par Philippe Lacôte, qui met en scène la rivalité entre deux stars du coupé-décalé, un genre musical emblématique de la Côte d’Ivoire.
« On a des gens capables d’assurer toute une production sans avoir la nécessité d’aller chercher ailleurs. »
Adama Rouamba, réalisateur burkinabè
Ce mouvement s’appuie sur une professionnalisation croissante du secteur. Les équipes locales, autrefois dépendantes de compétences étrangères, maîtrisent désormais l’ensemble de la chaîne de production, du scénario au montage. Cette autonomie renforce la crédibilité du cinéma ivoirien, qui se construit pas à pas, malgré des défis persistants.
Les Défis du Financement et de la Formation
Si le cinéma ivoirien connaît un essor, il reste confronté à des obstacles structurels. Le financement, par exemple, demeure un frein majeur. Shaidate Coulibaly explique qu’elle a dû « se battre » pour boucler le budget de Le Testament, malgré des subventions publiques. Les investisseurs privés, encore réticents, hésitent à parier sur un secteur perçu comme risqué. Cette frilosité ralentit le développement de projets ambitieux, obligeant les producteurs à redoubler de créativité pour concrétiser leurs visions.
Un autre défi réside dans la formation. Bien que le pays regorge de talents, le manque d’écoles spécialisées limite la montée en compétences des techniciens et réalisateurs. Philippe Lacôte, figure du cinéma franco-ivoirien, regrette cette lacune : « Il y a quelques années, une série comme Clash, réalisée par une équipe 100 % locale, aurait été impensable. » Le gouvernement, conscient de cet enjeu, planche sur la création de filières dédiées dans les établissements existants, avec pour ambition de former localement tous les acteurs de l’industrie cinématographique.
Enjeu | Frein | Solution envisagée |
---|---|---|
Financement | Réticence des investisseurs privés | Subventions publiques et mécanismes de soutien |
Formation | Manque d’écoles spécialisées | Création de filières dans les écoles existantes |
Infrastructures | Peu de salles de cinéma | Projets d’ouverture de nouvelles salles |
Un Enjeu Culturel et Économique
Au-delà de l’aspect économique, l’essor du cinéma en Côte d’Ivoire porte une ambition culturelle : se réapproprier les récits africains. Pendant longtemps, les représentations du continent dans l’audiovisuel ont été dominées par des productions occidentales, souvent déconnectées des réalités locales. Aujourd’hui, les cinéastes ivoiriens veulent raconter leurs propres histoires, celles qui reflètent leur identité, leurs luttes et leurs aspirations. Jean-Pascal Zadi, acteur et réalisateur d’origine ivoirienne, voit dans le cinéma un outil d’influence culturelle : « On a besoin de produire nos propres récits et des contenus de qualité. »
Le 3e Salon international du contenu audiovisuel (SICA), organisé en juin 2024, a mis en lumière cet enjeu. Cet événement a rassemblé des professionnels du secteur pour discuter des moyens de renforcer l’industrie locale tout en attirant des productions internationales. L’objectif ? Faire de la Côte d’Ivoire un acteur majeur du cinéma africain, capable de rivaliser avec des industries comme Nollywood, qui domine le continent avec ses films à gros budget et son audience mondiale.
Les Limites des Infrastructures
Si la Côte d’Ivoire progresse, elle fait face à un obstacle de taille : le manque de salles de cinéma. Avec seulement 15 salles dans tout le pays, concentrées principalement à Abidjan, l’accès aux films reste limité. La majorité des spectateurs consomment les productions locales à la télévision ou en streaming, ce qui restreint la visibilité des films en salle. Cependant, des initiatives émergent pour pallier ce problème, comme l’ouverture prévue d’une salle à Bouaké et l’arrivée des cinémas Pathé à Abidjan en 2024.
Ces projets témoignent d’une dynamique nouvelle, mais ils ne suffisent pas encore à faire du cinéma ivoirien un concurrent sérieux des productions étrangères. En 2023, les films locaux ne représentaient que 6 % des entrées en salle, contre 80 % pour les films américains ou coproduits aux États-Unis. Ce déséquilibre reflète un défi plus large : comment rivaliser avec des industries établies tout en développant une identité cinématographique propre ?
Une Vision Politique à Affiner
Pour Philippe Lacôte, le gouvernement doit clarifier sa stratégie. Si l’accueil de tournages étrangers génère des emplois, il ne suffit pas à développer une industrie nationale forte. « Ça crée des emplois, mais ça ne développe pas le cinéma national », souligne-t-il. En réponse, le ministre ivoirien de la Communication, Amadou Coulibaly, met en avant des initiatives comme un mécanisme de subvention pour les jeunes talents, qui devrait bientôt voir le jour. Ces efforts visent à encourager la création locale et à donner aux cinéastes les moyens de leurs ambitions.
« La volonté politique existe, et nous travaillons à soutenir les jeunes talents ivoiriens. »
Amadou Coulibaly, ministre ivoirien de la Communication
Cette volonté politique, combinée à l’énergie des créateurs locaux, pourrait transformer la Côte d’Ivoire en un acteur incontournable du cinéma africain. Mais pour y parvenir, le pays devra relever plusieurs défis : diversifier les sources de financement, investir dans la formation, et développer un réseau de salles de cinéma accessible à tous.
Vers un Rayonnement International
Le cinéma ivoirien ne se contente pas de viser le marché local. Avec des coproductions panafricaines comme Le Testament et des projets internationaux tournés à Abidjan, le pays s’ouvre au monde. Jean-Pascal Zadi, qui prépare un film d’action en Côte d’Ivoire, incarne cette ambition globale. Son engagement illustre une tendance plus large : les cinéastes d’origine africaine, qu’ils soient basés en Europe ou sur le continent, veulent contribuer à l’essor d’une industrie culturelle africaine forte.
En 2024, une vingtaine de films ivoiriens ont été projetés, une performance qualifiée d’« exceptionnelle » par Adama Konkobo, de l’Office national ivoirien du cinéma. Cette vitalité, combinée à des événements comme le SICA, positionne la Côte d’Ivoire comme un acteur à suivre. Mais pour transformer cette dynamique en succès durable, le pays devra continuer à investir dans ses talents, ses infrastructures et sa vision culturelle.
La Côte d’Ivoire est à un tournant. Entre l’enthousiasme des jeunes créateurs, le soutien timide mais réel du gouvernement, et l’attrait grandissant pour les tournages internationaux, le pays a tout pour devenir une capitale du 7e art africain. Reste à savoir si cette ambition se concrétisera face aux défis structurels et à la concurrence mondiale. Une chose est sûre : les projecteurs sont braqués sur Abidjan, et l’histoire ne fait que commencer.