Âgée de seulement quelques décennies, la démocratie sud-coréenne a une nouvelle fois prouvé sa remarquable capacité de résistance face aux tentations autoritaires. En l’espace de quelques jours, l’éphémère loi martiale décrétée par le président Yoon Suk-yeol a été rejetée, tandis que ce dernier a été destitué par le Parlement après seulement 11 mois de mandat. Un véritable triomphe de l’esprit démocratique qui s’est ancré profondément dans la société.
Un rejet fulgurant de l’état d’exception
Décrétée dans la nuit du 3 au 4 décembre au nom de la protection du pays contre de supposées « forces communistes nord-coréennes », la loi martiale proclamée par Yoon Suk-yeol n’aura tenu que six petites heures. Suffisant pour raviver les douloureux souvenirs de sa dernière activation en 1980 sous la dictature militaire, et pour provoquer une réaction en chaîne éclair :
- Vote des députés contre cet état d’exception
- Echec du coup de force présidentiel
- Ouverture d’une enquête pour « rébellion » contre Yoon et ses alliés
- Liesse populaire réclamant la destitution du dirigeant
Après des manifestations massives, c’est finalement samedi soir, 11 jours seulement après sa tentative avortée, que l’impopulaire Yoon Suk-yeol a été démis de ses fonctions par le Parlement. La joie et le soulagement étaient palpables dans les rues de Séoul.
Une leçon inestimable sur la démocratie
Pour de nombreux observateurs, cette séquence politique éclair constitue une expérience transformatrice dans la construction d’une conscience démocratique plus forte au sein de la population sud-coréenne. L’avocat Yun Bok-nam y voit « une leçon inestimable sur ce qu’implique véritablement la démocratie et sur la façon dont notre république démocratique peut être protégée ».
Ce à quoi nous avons assisté est une preuve qu’il est désormais impossible de ramener le pays à son passé autoritaire. Une ligne rouge a été tracée dans l’esprit du peuple.
Bae Kang-hoon, du groupe de réflexion politique Valid
La Corée du Sud, avant-garde démocratique en Asie de l’Est
Depuis sa transition démocratique en 1987, la Corée du Sud fait figure d’exception en Asie de l’Est, où prédominent les régimes autoritaires comme en Chine ou en Corée du Nord. Son système démocratique, né de la répression des mouvements pro-démocratie des années 1980, s’est enraciné dans une culture de la manifestation vivace. Les Sud-Coréens n’hésitent jamais à descendre dans la rue pour défier leurs dirigeants.
Cette vitalité démocratique détonne d’autant plus dans le contexte mondial actuel, marqué par une poussée des discours populistes et antidémocratiques, de l’Europe aux États-Unis. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’inquiétait récemment d’une « attaque » globale contre les valeurs démocratiques.
Vers une réforme du système présidentiel ?
Si la destitution de Yoon Suk-yeol est validée par la Cour constitutionnelle, il deviendra le deuxième président sud-coréen démis de ses fonctions après Park Geun-hye en 2017. Mais pour certains analystes, le pays a jusqu’ici « échoué » à tirer parti de l’élan populaire pour initier de véritables changements institutionnels.
Pour que cette volonté populaire se traduise par un meilleur gouvernement, il faudra revoir la Constitution et le système de fond en comble.
Kim Jeong-min, du collectif d’analystes Korea Pro
En cause notamment : les pouvoirs étendus accordés au président, souvent qualifiés de « présidence impériale ». Des constitutionnalistes suggèrent de rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement. La démocratie sud-coréenne, aussi fougueuse soit-elle, devra relever ce défi pour consolider sa résilience à long terme.