Le Japon traverse une période d’incertitude économique et politique inédite. La coalition au pouvoir, privée de majorité absolue à la chambre basse du Parlement, doit composer avec l’opposition pour tenter de relancer une économie en berne. Un exercice d’équilibriste périlleux entre dépenses de relance et réformes structurelles, sur fond de déclin démographique et de consommation déprimée.
Une équation économique compliquée
Depuis deux ans et demi, le Japon subit une flambée persistante du coût de la vie, sans que les salaires suivent. Cette situation plombe la consommation des ménages et freine la croissance du PIB, attendue à seulement +0,3% en 2024 selon le FMI. Le nouveau Premier ministre Shigeru Ishiba (PLD), en poste depuis octobre, a promis de soutenir le pouvoir d’achat, d’accélérer les hausses de salaires et de revitaliser les régions rurales via une dépense publique accrue. Mais la perte de sa majorité absolue risque de compliquer sérieusement la donne.
Compromis nécessaires avec l’opposition
Pour faire adopter ses textes, le PLD devra s’accorder avec les partis d’opposition. Ces derniers, soucieux de donner des gages à leurs électeurs d’ici aux élections à la chambre haute l’an prochain, pourraient réclamer des mesures d’aide à la consommation encore plus généreuses. Certains prônent ainsi des subventions sur les factures d’énergie, l’éducation gratuite ou encore un relèvement du plafond du revenu exonéré d’impôt pour les employés à temps partiel. Mais ces propositions risquent de réduire les recettes fiscales et de gonfler encore un endettement déjà massif.
Le gouvernement se concentrera probablement sur les mesures soutenant la demande à court terme sans s’attaquer aux problèmes structurels douloureux.
Shigeto Nagai, économiste chez Oxford Economics
D’après plusieurs observateurs, la nécessité de compromis politiques devrait conduire le gouvernement Ishiba à privilégier les mesures de soutien à court terme, comme des subventions aux ménages, plutôt que d’engager de profondes réformes structurelles. Une approche jugée insuffisante face à l’ampleur des défis.
Des problèmes structurels en suspens
Car les problèmes cruciaux auxquels est confronté le Japon sont nombreux : vieillissement accéléré de la population, pénuries de main-d’œuvre, déclin démographique, déflation persistante… Autant de défis structurels qui nécessiteraient des réformes d’ampleur. Mais dans le contexte politique actuel, le monde des affaires redoute que ces chantiers majeurs ne soient encore repoussés, faute de consensus.
Une montagne de problèmes cruciaux ont été repoussés. Les partis doivent affronter la réalité pour engager les politiques nécessaires.
Takeshi Niinami, président de l’organisation patronale Keizai Doyukai
La Banque du Japon sous pression
La Banque du Japon se retrouve elle aussi sous pression dans ce contexte économique et politique tendu. Après des années de politique monétaire ultra-accommodante, elle a commencé à relever prudemment ses taux à deux reprises cette année. Mais le Premier ministre Ishiba juge désormais la conjoncture trop fragile pour de nouvelles hausses, une position partagée par la plupart des partis d’opposition.
Une intervention politique qui fait craindre un report des prochains tours de vis monétaires, pourtant jugés nécessaires par de nombreux économistes pour normaliser la politique de la BoJ et endiguer la chute du yen. La banque centrale japonaise se retrouve ainsi prise en étau entre les impératifs économiques et les pressions politiques à l’approche d’échéances électorales cruciales.
Un avenir économique et politique incertain
Cette nouvelle donne politique assombrit les perspectives économiques du Japon. Dans un contexte d’incertitude inédit, le gouvernement devrait se concentrer sur des mesures de soutien à court terme pour ménager l’opinion, sans engager les réformes de fond nécessaires. La Banque du Japon pourrait de son côté être tentée de temporiser sur les hausses de taux pour ne pas nuire à une croissance déjà poussive.
Mais repousser les décisions douloureuses ne fera qu’aggraver les déséquilibres à long terme, avertissent les économistes. Le Japon est plus que jamais à la croisée des chemins, tiraillé entre des impératifs économiques pressants et une instabilité politique inédite. Un casse-tête qui hypothèque l’avenir de la 3e puissance économique mondiale.