C’est un nouveau rebondissement dans la polémique entourant « Le Dernier tango à Paris ». La Cinémathèque française a finalement décidé d’annuler, à peine 24 heures avant, la projection prévue de ce film sulfureux réalisé par Bernardo Bertolucci en 1972. Une décision prise face au tollé provoqué par des associations féministes, qui dénoncent la présence dans le long-métrage d’une scène de viol tournée sans le consentement de son actrice, Maria Schneider.
Un « risque sécuritaire » invoqué par la Cinémathèque
Initialement programmé dimanche soir dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Marlon Brando, le film a finalement été retiré de l’affiche « dans un souci d’apaisement des esprits et devant les risques sécuritaires encourus », a expliqué l’institution culturelle dans un tweet. Frédéric Bonnaud, son directeur, a précisé à l’AFP : « Nous sommes une cinémathèque, pas un camp retranché. Et nous ne pouvons prendre de risques avec la sécurité du personnel et du public ». Des « gens violents » commençaient en effet à s’annoncer, rendant le maintien de la séance et du débat prévu « tout à fait disproportionné » selon lui.
Une déprogrammation qui ravive les plaies de l’affaire Brisseau
Ce n’est pas la première fois que la Cinémathèque se retrouve au cœur d’une telle polémique. Fin 2017, elle avait déjà dû annuler une rétrospective consacrée à Jean-Claude Brisseau, cinéaste condamné en 2005 pour harcèlement sexuel. La blessure est encore vive, et cette nouvelle déprogrammation la ravive inévitablement.
Judith Godrèche dénonce un « manque de respect » envers Maria Schneider
L’actrice Judith Godrèche, figure du mouvement #MeToo en France, a vivement dénoncé le choix initial de la Cinémathèque. Sur Instagram, elle a déploré l’absence de contextualisation du film et le manque de respect envers Maria Schneider, décédée en 2011 après une vie cabossée :
Il est temps de se réveiller chère Cinémathèque et rendre aux actrices de 19 ans leur humanité en vous comportant humainement.
Judith Godrèche
Une scène de viol non simulée devenue symbole des violences sexuelles dans le cinéma
Au cœur de la polémique : la fameuse scène de sodomie non consentie du « Dernier tango à Paris », qui avait valu au film une interdiction aux moins de 18 ans et les foudres du Vatican à sa sortie. Bien que simulée à l’écran, cette scène avait en réalité été imposée par surprise à la jeune Maria Schneider, comme l’actrice le racontera des années plus tard.
Loin d’être anecdotique, cet épisode est devenu le symbole des violences sexuelles subies par les actrices dans le milieu du cinéma. Fin 2017, en plein essor du mouvement #MeToo, des stars hollywoodiennes comme Jessica Chastain avaient dénoncé ce tournage traumatisant :
A tous ceux qui ont aimé le film, vous êtes en train de regarder une jeune fille de 19 ans en train d’être violée par un homme de 48 ans. Le réalisateur a planifié l’agression. Ça me rend malade.
Jessica Chastain
Maria Schneider, une voix pionnière à peine entendue
Dès les années 70, Maria Schneider avait pourtant dénoncé sans filtre ce tournage éprouvant, évoquant un « double viol » de la part de l’acteur et du réalisateur qui avaient orchestré cette scène sans la prévenir. Mais à l’époque, la jeune femme fut à peine entendue, comme le montre le documentaire « Maria » sorti en juin dernier.
Des appels à une « médiation réfléchie » de la part des professionnels
Face à cette polémique, les instances professionnelles du cinéma ont elles aussi réagi. Le collectif 50/50, qui milite pour la parité, a appelé la Cinémathèque à mettre en place une « médiation réfléchie et respectueuse de la parole de la victime » pour accompagner la projection. Le syndicat SFA-CGT a quant à lui rappelé qu’« aujourd’hui, nous savons. Nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas comprendre et voir la portée de cette scène de viol ».
La Cinémathèque avait promis un « temps d’échange avec le public » en amont de la séance pour évoquer ces questions. Mais cela n’a pas suffi à apaiser les esprits. « Ce film aura réussi à faire deux fois scandale à plus de 50 ans de distance », constate Frédéric Bonnaud, rappelant qu’il avait pourtant été diffusé « sans problème » en 2017 dans le cadre d’un hommage à son chef opérateur.
Cette polémique illustre en tout cas la difficulté persistante à montrer certaines œuvres du patrimoine cinématographique, aussi importantes soient-elles sur le plan artistique, quand elles portent la marque de leur époque en matière de représentation de la violence faite aux femmes. Un débat complexe et passionné, loin d’être clos.