Quatorze ans se sont écoulés depuis l’étincelle qui a embrasé le monde arabe. En décembre 2010, l’immolation du jeune vendeur tunisien Mohamed Bouazizi déclenchait une vague de protestations sans précédent. De la place Tahrir au Caire jusqu’aux rues de Damas, les peuples se soulevaient, portés par l’espoir d’un avenir démocratique. Mais plus d’une décennie plus tard, alors que le dictateur syrien Bachar el-Assad vient de tomber, quel bilan peut-on tirer de ces « Printemps arabes » ?
La Tunisie, éphémère success story
La Tunisie restera comme le symbole des espoirs portés par ces révoltes. Premier pays touché, elle fut aussi le seul à connaître une véritable transition démocratique après le départ de Ben Ali en janvier 2011. Une nouvelle Constitution, des élections libres, une alternance au pouvoir… Pendant quelques années, la démocratie tunisienne a semblé s’installer.
Mais cet élan s’est heurté à d’immenses défis économiques et sociaux. Chômage de masse, creusement des inégalités, corruption endémique… Les maux qui avaient nourri la révolte n’ont pas disparu. Et en juillet 2021, sur fond de crise politique, le président Kaïs Saïed suspendait le Parlement, faisant ressurgir le spectre de l’autoritarisme.
De la guerre civile libyenne au retour des militaires en Égypte
Ailleurs, l’issue des révoltes a été plus sombre encore. En Libye, le soulèvement contre Kadhafi a dégénéré en une sanglante guerre civile, plongeant le pays dans le chaos. Milices rivales, ingérences étrangères, trafics en tous genres… Dix ans après, la Libye peine toujours à se relever.
En Égypte, l’armée est revenue aux commandes après avoir évincé les Frères musulmans en 2013. Depuis, le maréchal Sissi règne d’une main de fer, muselant toute opposition. Un scénario similaire au Yémen et à Bahreïn, où les espoirs démocratiques ont été écrasés dans le sang.
La chute d’Assad, nouveau départ pour la Syrie ?
Et en Syrie ? Après plus de dix ans d’une guerre dévastatrice, Bachar el-Assad vient enfin de tomber sous les coups des rebelles. Mais l’avenir du pays demeure incertain. Les anciens djihadistes sont aux commandes, et nombre d’exilés restent sur le qui-vive. Beaucoup redoutent un scénario à l’afghane.
Car c’est bien là le drame des Printemps arabes. Partout où les dictateurs sont tombés sans réelle alternative, le vide a été comblé par des forces tout aussi autoritaires, qu’elles soient militaires, islamistes ou tribales. Et les rêves de liberté ont laissé place aux cauchemars de la violence.
Les racines de l’échec
Comment expliquer ces échecs en série ? Les causes sont multiples. La faiblesse des sociétés civiles, minées par des décennies de répression. L’absence de forces politiques structurées, capables de porter un véritable projet démocratique. Mais aussi le poids des ingérences étrangères, chacun cherchant à tirer profit du chaos.
Les Printemps arabes nous ont montré que renverser un dictateur ne suffisait pas à instaurer la démocratie. C’est tout un écosystème qu’il faut bâtir, et cela prend du temps.
Karim Emile Bitar, Directeur de recherche à l’IRIS
Faut-il pour autant parler d’échec total ? Malgré les drames et les désillusions, ces révoltes ont fait vaciller l’ordre établi. Elles ont fait émerger de nouvelles aspirations, notamment chez les jeunes. Et si la route est encore longue, l’espoir d’un avenir meilleur n’a pas dit son dernier mot.
L’avenir du monde arabe en question
Car au-delà de la Syrie, c’est tout le monde arabe qui se cherche un destin. Entre tentations autoritaires et aspirations démocratiques, le combat n’est pas terminé. Des monarchies du Golfe aux rives de la Méditerranée, les sociétés bougent, changent, se réinventent.
Alors, les Printemps arabes étaient-ils un mirage ? Une parenthèse vite refermée dans l’histoire tourmentée de la région ? Ou au contraire les prémices d’un changement plus profond, dont nous ne percevons encore que les frémissements ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : le vent de la liberté qui a soufflé en 2011 a laissé des traces. Et nul ne pourra l’effacer.