C’est une nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe dans les couloirs des institutions européennes. La chute inattendue de Michel Barnier, Premier ministre français depuis seulement trois mois, suscite une vive inquiétude à Bruxelles. Dans un contexte international tendu, entre le retour au pouvoir annoncé de Donald Trump aux États-Unis et les incertitudes politiques et économiques qui planent sur le Vieux Continent, le départ précipité de l’ancien négociateur du Brexit fragilise un peu plus la position de la France sur l’échiquier européen.
Une France affaiblie et imprévisible
Si la nomination de Michel Barnier à Matignon en septembre dernier avait été plutôt bien accueillie à Bruxelles, où sa réputation de sérieux et de ténacité n’est plus à faire, sa démission forcée après le vote d’une motion de censure par l’Assemblée nationale provoque une réelle inquiétude chez nos partenaires européens. Pour beaucoup, elle est le symptôme d’un pays affaibli économiquement et de plus en plus imprévisible politiquement.
La France est affaiblie et Emmanuel Macron lui-même n’est plus en position d’orienter l’Union européenne comme il l’a fait.
Eric Maurice, analyste au European Policy Center
Sur le plan économique d’abord, avec un déficit public attendu à 6,2% du PIB cette année, soit la pire performance des 27 pays de l’UE à l’exception de la Roumanie, la France fait figure de mauvais élève. Un dérapage budgétaire qui inquiète Bruxelles, même si le scénario d’un retour sous les 3% en 2029 proposé par Paris avait reçu un feu vert prudent de la Commission avant la chute de Barnier.
Mais c’est surtout l’imprévisibilité grandissante de la vie politique française qui préoccupe nos voisins européens. Avec un paysage complètement fragmenté, marqué par une extrême droite très forte et des difficultés récurrentes à construire des coalitions stables, l’Hexagone semble s’enfoncer dans une forme de paralysie institutionnelle chronique.
L’Europe orpheline d’un leadership franco-allemand
Dans ce contexte, c’est la capacité même de la France à peser sur les grandes orientations européennes qui est remise en cause. Emmanuel Macron, déjà affaibli dans son propre pays, risque de ne plus pouvoir jouer le rôle moteur qui a été le sien par le passé au sein du couple franco-allemand. Un axe central pourtant plus que jamais nécessaire face aux défis qui s’annoncent pour l’UE.
À l’heure de l’arrivée de Donald Trump, on a besoin d’une synchronisation entre Bruxelles, Berlin et la France. Là, ça devient beaucoup plus difficile.
Dirk Gotink, eurodéputé néerlandais
Car les nuages s’amoncellent à l’horizon européen. Outre le retour redouté de Trump à la Maison Blanche le 20 janvier prochain, avec son lot de menaces de hausses des taxes douanières sur les produits européens, l’UE doit aussi composer avec la fragilité de l’attelage allemand. À Berlin aussi, le chancelier Olaf Scholz peine à imprimer sa marque et reste sous la menace d’élections anticipées dès le mois de février.
Des chantiers européens à l’arrêt ?
Face à ces incertitudes, la nouvelle Commission européenne qui a pris ses fonctions début décembre pourrait vite se retrouver à court de carburant politique pour avancer sur ses chantiers prioritaires. De quoi nourrir les inquiétudes de certains élus européens, à l’image de l’écologiste allemand Daniel Freund :
La chute du gouvernement français à ce moment clé est inquiétante, d’autant plus que l’Allemagne n’a pas de gouvernement stable.
Daniel Freund, eurodéputé écologiste allemand
Certes, la Commission a déjà commencé à travailler. Mais les experts préviennent : à un moment donné, elle aura besoin de l’impulsion des États membres pour aller de l’avant. Une impulsion qui risque de manquer cruellement dans les prochains mois, sauf à ce qu’Emmanuel Macron réussisse l’exploit de rebondir à Matignon. Un scénario qui semble aujourd’hui bien incertain.
En attendant, c’est une Europe orpheline d’un réel leadership qui semble se dessiner. Avec une France affaiblie et une Allemagne en plein doute, le moteur franco-allemand est à l’arrêt. Et c’est toute la machine européenne qui menace de se gripper, au pire des moments. Les prochaines semaines s’annoncent décisives pour l’avenir du projet européen. Reste à savoir qui, de Paris ou de Berlin, réussira à reprendre la main pour éviter le pire.