La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie redistribue les cartes géopolitiques dans la région, offrant de nouvelles perspectives à la Turquie voisine. Ankara, principal soutien des rebelles syriens, sort grand gagnant de ce bouleversement selon les experts, mais ce succès s’accompagne aussi de lourdes responsabilités pour la suite.
Renforcement de l’influence turque
Le renversement de celui qui fut pendant plus de 10 ans l’ennemi juré d’Ankara renforce considérablement le poids de la Turquie en Syrie et dans la région. Avec la disparition d’Assad, la Turquie dispose désormais d’une influence accrue chez son voisin du sud. Un atout de taille pour le président Erdogan.
Cependant, ce succès implique aussi pour la Turquie la responsabilité de participer activement à une transition réussie en Syrie, souligne Paul Salem, expert du Middle East Institute. Ankara s’est d’ailleurs dit prêt à aider la Syrie à « garantir sa sécurité » et « panser ses plaies » dans cette phase post-Assad.
La question des réfugiés
Avec 3,6 millions de réfugiés syriens sur son sol, la Turquie espère que la chute d’Assad permettra le retour d’une partie d’entre eux. Un enjeu de taille pour Erdogan alors que la présence des Syriens alimente un fort sentiment de rejet dans la population turque.
La perspective d’un retour des réfugiés syriens renforcera le soutien à Erdogan dans l’opinion publique turque
Gönül Tol, directrice du programme Turquie au Middle East Institute
Rebattement des cartes avec la Russie et l’Iran
La fin du régime d’Assad bouleverse aussi les rapports de force d’Ankara avec les autres acteurs régionaux. La Turquie devrait ainsi jouir d’un meilleur rapport de force vis-à-vis de la Russie, jusqu’ici proche allié de Damas aux côtés de Téhéran.
Alors que les bombardements russes dans le nord-ouest syrien faisaient craindre un nouvel afflux de réfugiés à la frontière turque, la Turquie était devenue vulnérable aux décisions de Moscou. Un rapport qui change désormais.
Opportunité face aux forces kurdes
Le bouleversement en Syrie donne aussi à la Turquie l’occasion d’éloigner de sa frontière les forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), considérées par Ankara comme une émanation du PKK contre lequel elle lutte.
Des combattants proturcs ont ainsi repris le contrôle de Tal Rifaat aux forces kurdes la semaine dernière. Ankara a aussi averti qu’elle veillait à ce que les combattants kurdes n’étendent pas leur influence en Syrie en profitant du chaos.
Erdogan pourra utiliser l’image de YPG affaiblies pour redorer son blason nationaliste dans son pays
Gönül Tol du Middle East Institute
La Turquie, nouveau « patron » de la Syrie ?
Si la Turquie sort renforcée à court terme, la suite s’annonce plus délicate. Beaucoup dépendra de la dynamique entre acteurs locaux, notamment le groupe HTS qui a mené l’offensive rebelle et les forces kurdes qui tentent d’en profiter, ainsi que des futures relations entre HTS et Ankara.
Certains appellent la Turquie à aider le HTS à obtenir une reconnaissance internationale pour marginaliser la Russie et l’Iran. Mais attention préviennent-ils : « cela ne fonctionnera pas si la Turquie se comporte comme le nouveau patron de la Syrie ».
La chute de Bachar al-Assad ouvre donc une nouvelle page pour la Turquie en Syrie. Entre opportunités de renforcer son influence et défis pour stabiliser son voisin du sud, Ankara va devoir jouer finement ses cartes pour tirer son épingle du jeu dans une région plus que jamais en recomposition.