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La Cedeao approuve un tribunal pour les crimes en Gambie

La Cedeao fait un pas historique en approuvant un tribunal spécial pour juger les crimes atroces commis en Gambie sous Yahya Jammeh. Les victimes de ce sombre chapitre espèrent enfin obtenir justice, mais le chemin sera long et semé d'embûches. Découvrez les enjeux de ce tribunal crucial pour la Gambie et la région.

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) vient de franchir une étape majeure dans la quête de justice pour les victimes des crimes commis en Gambie durant les années de plomb. Lors d’un sommet à Abuja le 15 décembre, l’organisation régionale a en effet approuvé la création d’un tribunal spécial chargé de juger les exactions perpétrées entre 1994 et 2017, période correspondant au règne sans partage de l’ex-dictateur Yahya Jammeh. Une décision saluée comme « historique » par le gouvernement gambien.

Un tribunal pour mettre fin à l’impunité

Pendant plus de deux décennies, Yahya Jammeh a régné d’une main de fer sur ce petit pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, se livrant à une répression féroce contre toute forme d’opposition. Disparitions forcées, actes de torture, exécutions extrajudiciaires… Les atteintes aux droits humains étaient monnaie courante sous le régime de celui qui se faisait appeler « le président de mille ans ». Depuis la chute de Jammeh en 2017 et son exil en Guinée équatoriale, la Gambie tente de panser ses plaies et d’établir la vérité sur son passé douloureux.

Le feu vert de la Cedeao à la mise en place d’un tribunal spécial marque une avancée considérable dans ce processus de justice transitionnelle. Réclamée de longue date par les organisations de défense des droits humains, cette juridiction aura pour mission de juger les principaux responsables des crimes commis sous Jammeh, à commencer par l’ex-dictateur lui-même. Un défi de taille quand on sait que ce dernier, exilé à Malabo, bénéficie de la protection du président équato-guinéen Teodoro Obiang, peu enclin à le livrer à la justice.

Un long chemin vers la vérité

Avant même la création du tribunal, les autorités gambiennes avaient entamé un travail de mémoire et de documentation des exactions passées. Une commission vérité, réconciliation et réparations, mise en place dès 2018, a ainsi recueilli les témoignages glaçants de centaines de victimes et de bourreaux. Dans son rapport final rendu en 2022, elle a recommandé des poursuites contre une soixantaine de personnes, dont Yahya Jammeh et plusieurs de ses plus proches lieutenants.

« Après des années de retard, cet accord pourrait enfin permettre aux victimes de Yahya Jammeh d’accéder à la justice. »

– Reed Brody, Commission internationale des juristes

Si le gouvernement gambien a endossé ces recommandations, leur mise en œuvre s’annonce complexe. En effet, la justice gambienne ne dispose pas à ce stade des moyens et de l’expertise nécessaires pour juger des crimes de cette ampleur. D’où l’importance de la création d’un tribunal spécial, qui viendra épauler les juridictions locales avec l’appui de la communauté internationale.

Quel modèle pour le tribunal spécial ?

Si les contours exacts de ce tribunal restent à définir, plusieurs scénarios sont sur la table. Une option serait de s’inspirer du modèle des Chambres africaines extraordinaires, juridiction ad hoc qui a jugé l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré au Sénégal. Une autre piste serait la création d’un tribunal « hybride », composé à la fois de juges internationaux et gambiens, sur le modèle du Tribunal spécial pour la Sierra Leone.

Quelle que soit la formule retenue, plusieurs défis de taille attendent ce mécanisme judiciaire inédit. Il lui faudra d’abord s’assurer de la coopération des autorités gambiennes, mais aussi des pays voisins, pour accéder aux preuves et aux témoins. La question du financement sera également centrale, un tel tribunal nécessitant des moyens conséquents sur plusieurs années.

Au-delà de la justice, la réconciliation

Mais au-delà des poursuites pénales, l’enjeu sera aussi d’accompagner le processus de réconciliation nationale en Gambie. Car si le tribunal aura pour mission de juger les principaux responsables, il ne pourra faire l’économie d’un travail de fond pour soigner les blessures du passé et restaurer la confiance des citoyens en l’État de droit.

Des programmes de réparations pour les victimes aux réformes institutionnelles en passant par le travail de mémoire, le chantier s’annonce immense pour cette nation de 2 millions d’habitants. Mais avec la création de ce tribunal spécial, une page semble en passe de se tourner. Pour la Gambie, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre, avec l’espoir d’un avenir enfin débarrassé des fantômes de la dictature.

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