Ce dimanche, plus de 7 millions de Boliviens étaient appelés aux urnes pour un scrutin pas comme les autres. Ils devaient en effet élire directement leurs plus hautes autorités judiciaires, un processus inédit dans le monde mais très controversé dans le pays. Retour sur une journée électorale sous haute tension.
La Bolivie, seul pays à élire directement ses juges
Depuis 2011, la Bolivie a mis en place un système unique au monde : l’élection directe par les citoyens des membres de ses principales institutions judiciaires. Dimanche, les électeurs devaient ainsi choisir 38 nouveaux hauts magistrats parmi des candidats présélectionnés par le Parlement, pour siéger à la Cour Suprême, au Tribunal Constitutionnel, au Conseil de la Magistrature et au Tribunal Agro-Environnemental.
Ce mode de désignation, voulu par l’ancien président Evo Morales pour rendre la justice plus indépendante, est cependant loin de faire l’unanimité. Il cristallise au contraire une grande défiance de la population envers l’institution judiciaire. Lors des précédents scrutins en 2011 et 2017, les votes blancs et nuls avaient d’ailleurs dépassé 60%.
Une défiance record envers la justice
Cette année, les Boliviens semblaient aborder ces élections judiciaires avec un désenchantement encore plus marqué. Selon un récent sondage, dans les grandes villes du pays, 85% des habitants n’ont pas ou peu confiance en la justice. Pour beaucoup, ce vote est une parodie de démocratie.
C’est un vote à l’aveugle car nous ne connaissons aucun des candidats.
– Roger Arce, homme d’affaires bolivien
En cause, le processus de présélection des candidats par le Parlement, jugé opaque et politisé, mais aussi l’interdiction faite aux postulants de mener campagne. Résultat, les électeurs avouent souvent voter sans savoir réellement pour qui.
Ce vote est inutile alors que notre pays a besoin d’une justice éthique, qui a de la valeur.
– Olga Palma, retraitée bolivienne
Un scrutin à forts enjeux politiques
Malgré cette défiance, le scrutin de dimanche était scruté de près car il pourrait avoir des répercussions politiques majeures. En 2025 doit en effet avoir lieu la prochaine élection présidentielle, qui verra s’affronter le camp de l’ex-président Evo Morales et celui de l’actuel chef de l’État Luis Arce pour le contrôle de la gauche bolivienne. Et dans cette bataille, le pouvoir judiciaire pourrait jouer un rôle clé.
La Cour Constitutionnelle a déjà montré qu’elle pouvait peser, en empêchant cette année Evo Morales de se représenter en limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. Les nouveaux juges élus pourraient donc avoir entre leurs mains une partie de l’avenir politique du pays.
Un processus perturbé par des recours
Le processus électoral a cependant été perturbé par de nombreux recours déposés par des candidats écartés lors de la phase de présélection. Le Tribunal Constitutionnel a ainsi dû suspendre le vote dans 5 des 9 départements pour sa propre élection, ainsi que dans 2 départements pour celle de la Cour Suprême.
Ce scrutin partiel et contesté risque donc de ne pas suffire à restaurer la confiance et la légitimité de la justice bolivienne. Mais pour le président du Tribunal Suprême Electoral, une forte participation malgré les polémiques serait déjà une victoire.
Une forte participation des citoyens sera la meilleure réponse à ceux qui ont voulu délégitimer ce processus.
– Oscar Hassenteufel, président du Tribunal Suprême Electoral
Les résultats définitifs de ce vote hors norme, unique en son genre, seront connus d’ici trois jours. Ils détermineront le visage de la haute magistrature bolivienne pour les années à venir. Une magistrature qui, malgré le mode d’élection directe, peine encore à gagner la confiance des citoyens qu’elle est censée servir.