Imaginez-vous dans une ruelle pavée de Prague, poussé par une envie irrésistible de goûter une pinte dorée, mousseuse, servie dans un verre embué. La République tchèque, avec ses 130 litres de bière bus par habitant chaque année, porte cet art de vivre comme un étendard. Mais aujourd’hui, cette tradition millénaire tremble : les pubs se vident, les prix grimpent, et pourtant, un rêve audacieux émerge – celui de voir la culture de la bière tchèque inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Une quête qui mêle fierté, économie et un zeste de nostalgie.
Une Tradition qui Défie le Temps
La bière, en République tchèque, ce n’est pas juste une boisson. C’est une histoire qui remonte à plus de mille ans, façonnée par des générations de brasseurs, des champs de houblon dorés et des soirées animées dans des pubs enfumés. D’après une source proche du secteur, le pays compte aujourd’hui **550 brasseries**, produisant environ 20 millions d’hectolitres par an et employant 65 000 personnes. Un pilier économique et culturel qui, pourtant, doit se réinventer.
Pourquoi l’Unesco ? Un Enjeu de Prestige
Obtenir le label Unesco, c’est bien plus qu’une médaille honorifique. C’est une reconnaissance internationale qui pourrait redonner un souffle nouveau à un secteur en perte de vitesse. Seule la Belgique, depuis 2016, détient ce privilège pour sa culture brassicole. Pour les Tchèques, c’est une manière de crier au monde : “Nos lagers blondes et légères sont uniques !” Mais pour y parvenir, il faut prouver que cette tradition reste vivante, portée par des associations, des festivals et une clientèle fidèle.
“Que ce soit en Europe ou ailleurs, tout le monde connaît la bière tchèque.”
– Un responsable de l’association nationale de la bière
Et ce n’est pas une vantardise gratuite. Les bières tchèques, souvent des lagers délicates, ont conquis les palais bien au-delà des frontières. Mais avec seulement **25 % de la production exportée**, principalement vers les voisins européens, il y a un potentiel inexploité. Le label pourrait attirer les regards étrangers et booster le tourisme brassicole.
Les Pubs en Crise : La Fin d’une Époque ?
Autrefois, commander une pinte au pub coûtait moins cher qu’une bouteille d’eau. Aujourd’hui, il faut débourser environ **2,8 euros** pour une Pilsner dans un bar de Prague – et jusqu’à **4 euros** dans le centre historique. Une hausse liée à l’inflation, à la flambée des matières premières et aux taxes sur l’alcool. Résultat ? Les Tchèques se tournent vers les supermarchés, préférant siroter leur breuvage favori chez eux.
- Avant : 50 % de la bière consommée dans les pubs.
- Aujourd’hui : seulement 30 %.
- Conséquence : un tiers des bars a fermé ou changé de mains pendant la pandémie.
Les restrictions anti-Covid ont accéléré un déclin déjà amorcé. Dans les villages, les estaminets ferment les uns après les autres, emportant avec eux un morceau d’âme tchèque. Pourtant, pour beaucoup, le pub reste bien plus qu’un lieu de consommation : c’est un espace de vie.
Un Réseau Social avant l’Heure
“Le pub, c’est comme un réseau social en chair et en os”, confie un expert du secteur. Là où les écrans divisent, la bière rassemble. Elle forge des liens, des discussions animées autour d’une table en bois, sous une lumière tamisée. Pour un sociologue interrogé, elle reste un **ciment social**, un pilier de l’identité tchèque, même si les habitudes évoluent.
Mais cette convivialité est mise à rude épreuve. La consommation moyenne a chuté : de **143 litres par an il y a dix ans**, elle est passée à **128 litres en 2023**. Une baisse liée à une quête de vie plus saine, mais aussi à une clientèle qui se diversifie. Les femmes, par exemple, fréquentent davantage les pubs, recherchant des expériences plus raffinées.
Un Avenir en Or ou en mousse ?
Face à ces défis, les acteurs du secteur misent sur la **qualité plutôt que la quantité**. Des bières plus variées, des plats sophistiqués pour accompagner les pintes, une ambiance repensée : voilà les armes pour reconquérir les cœurs. L’exemple belge inspire : depuis son inscription à l’Unesco, le tourisme brassicole a explosé outre-Quiévrain.
Critère | Avant | Aujourd’hui |
Prix d’une pinte | 1,5 € | 2,8 à 4 € |
Consommation au pub | 50 % | 30 % |
Consommation annuelle | 143 L | 128 L |
Et si le salut passait aussi par le houblon ? La région de Zatec, déjà reconnue par l’Unesco pour ses champs, est un atout dans cette candidature. Mais il faudra plus qu’un terroir d’exception : il faudra redonner aux Tchèques l’envie de pousser la porte des pubs.
Un Pari sur la Convivialité
Alors que les écrans captent l’attention, certains rêvent d’un retour aux sources. “Rien ne remplace une discussion autour d’une bière”, insiste un défenseur de cette culture. La République tchèque parie sur cet héritage pour se réinventer, espérant que l’Unesco lui offrira la visibilité nécessaire pour relever ce défi.
Et vous, seriez-vous prêt à trinquer dans un pub praguois pour soutenir cette tradition ? La réponse, comme la mousse d’une bonne lager, reste en suspens.