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Kurdes de Syrie : Vers une Paix Historique avec la Turquie ?

Les Kurdes de Syrie voient dans le processus de paix turc une chance historique. Elham Ahmad appelle au dialogue direct avec Ankara et à la libération d’Abdullah Öcalan. Et si la paix en Turquie ouvrait enfin les portes d’un règlement global au Moyen-Orient ? La suite va vous surprendre…

Et si la paix, après quarante ans de guerre, était enfin à portée de main ? Au moment où la Turquie tourne une page historique avec le PKK, les regards se tournent vers la Syrie voisine. Là-bas, les Kurdes qui administrent le nord-est du pays observent avec espoir les évolutions à Ankara. Pour eux, ce qui se joue aujourd’hui pourrait bien redessiner toute la carte du Moyen-Orient.

Un processus de paix qui dépasse les frontières

L’annonce faite en mai dernier a surpris le monde entier. Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), à l’initiative de son leader historique Abdullah Öcalan, a déclaré déposer les armes après plus de quarante années de guérilla. Un conflit qui a coûté la vie à près de 50 000 personnes et laissé des cicatrices profondes des deux côtés.

Ce choix de la voie pacifique, pris depuis la cellule de prison où il est détenu depuis 1999, marque un tournant. Et ce tournant ne concerne pas seulement la Turquie. Il résonne fortement chez les Kurdes de Syrie, qui contrôlent de vastes territoires dans le nord et le nord-est du pays.

L’espoir né au cœur du Rojava

Elham Ahmad, haut responsable de l’administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, ne cache pas son enthousiasme. Lors d’une intervention en turc, depuis une conférence organisée à Istanbul, elle a affirmé sans détour que « l’initiative de paix en Turquie a eu un impact direct » sur leur région.

« Nous voulons un processus de dialogue avec la Turquie. Nous voulons que les frontières entre nous soient ouvertes. »

Elham Ahmad

Cette phrase, prononcée publiquement, marque une volonté claire de rapprochement. Elle intervient dans un contexte où les relations entre Ankara et les forces kurdes syriennes ont longtemps été marquées par la méfiance, voire l’hostilité ouverte.

La Turquie a toujours considéré les Forces démocratiques syriennes (FDS), fer de lance de l’administration kurde, comme une extension du PKK. Elle a donc multiplié les opérations militaires et exigé leur intégration dans l’armée régulière syrienne. Un accord avait même été signé en ce sens en mars dernier… sans jamais être appliqué.

La libération d’Öcalan, clé de voûte du processus ?

Pour Elham Ahmad, une chose pourrait tout accélérer : la sortie de prison d’Abdullah Öcalan. Emprisonné depuis vingt-six ans sur l’île-prison d’Imrali, le leader kurde a pourtant réussi à impulser ce virage pacifiste depuis sa cellule.

« Nous avons la conviction que sa libération lui permettrait de jouer un rôle plus important », a-t-elle expliqué. Un rôle qui, selon elle, rendrait le processus « plus rapide et plus efficace ». Cette demande n’est pas nouvelle, mais elle prend aujourd’hui une dimension particulière.

Car Öcalan reste, malgré son incarcération, une figure centrale pour des millions de Kurdes à travers la région. Sa parole conserve un poids considérable, y compris chez ceux qui ne partagent pas toutes ses idées. Le voir libre pourrait légitimer encore davantage le choix de la paix.

Un contexte régional complètement bouleversé

Il y a un an à peine, la chute du régime de Bachar al-Assad a rebattu toutes les cartes en Syrie. Un nouveau pouvoir s’est installé à Damas, et la Turquie a rapidement noué des relations avec lui. Des canaux de communication se sont ouverts, y compris – chose impensable il y a peu – avec l’administration kurde.

Elham Ahmad salue d’ailleurs cette « approche attentive » du gouvernement turc. Un ton bien différent des années précédentes, où les discours étaient uniquement guerriers. Aujourd’hui, on parle dialogue, ouverture de frontières, coopération.

Cette évolution n’est pas anodine. Elle intervient alors que le Moyen-Orient traverse une phase de réorganisation profonde. Les alliances se redessinent, les anciennes certitudes s’effacent. Et dans ce grand jeu, la question kurde reste l’une des plus sensibles.

Une vision de la coexistence plutôt que de la division

Contrairement à ce que certains propagandistes ont pu laisser entendre, l’administration kurde de Syrie ne cherche pas la sécession. Elham Ahmad l’a répété avec force : « Nous ne sommes pas partisans de la division de la Syrie ni d’aucun autre pays. »

Au contraire, la coexistence pacifique entre communautés turque, kurde et arabe est présentée comme un objectif fondamental. Une position qui pourrait rassurer Ankara, longtemps obsédée par la crainte d’un État kurde indépendant à ses portes.

« De telles divisions ouvrent la voie à de nouvelles guerres. C’est pourquoi nous défendons la paix. »

Cette déclaration est lourde de sens. Elle montre une maturité politique certaine et une volonté de s’inscrire dans un projet syrien unitaire, même décentralisé. Un message directement adressé à la Turquie, mais aussi au nouveau pouvoir syrien et à la communauté internationale.

La Turquie, acteur incontournable d’une paix régionale

Dans ce nouvel échiquier, le rôle de la Turquie apparaît central. Elham Ahmad ne s’y trompe pas : « La Turquie a un rôle très important à jouer. » Un rôle qui dépasse largement ses frontières et pourrait influencer tout le Moyen-Orient.

Car une paix durable entre Turcs et Kurdes en Turquie, puis entre la Turquie et les Kurdes de Syrie, aurait un effet domino. Elle pourrait apaiser des tensions qui empoisonnent la région depuis des décennies. Elle ouvrirait aussi la voie à une coopération économique, notamment sur la question cruciale de l’eau et des ressources.

Les frontières, aujourd’hui fermées et militarisées, pourraient redevenir des lieux d’échange. Les familles séparées depuis des années pourraient se retrouver. Les marchandises circuleraient à nouveau. Autant de perspectives concrètes qui donnent corps à l’espoir exprimé.

Des obstacles encore nombreux

Mais il serait naïf de croire que tout est réglé. De nombreux points d’achoppement subsistent. La question du statut des FDS reste entière. L’intégration dans l’armée syrienne est toujours exigée par Ankara, mais refusée par les Kurdes qui y voient la fin de leur autonomie conquise de haute lutte contre l’État islamique.

La libération d’Öcalan, elle, divise profondément l’opinion turque. Pour beaucoup, elle reste inenvisageable. Quant au nouveau pouvoir syrien, il devra lui aussi clarifier sa position vis-à-vis de l’administration autonome du nord-est.

Enfin, les puissances extérieures – États-Unis, Russie, Iran – continuent d’avoir leur mot à dire. Chacune soutient, directement ou indirectement, un camp. Leur alignement (ou leur désalignement) sera déterminant.

Vers un Moyen-Orient apaisé ?

Pourtant, malgré ces difficultés, l’heure semble être à l’optimisme prudent. Les déclarations d’Elham Ahmad, prononcées en turc devant un public turc, sont un signal fort. Elles montrent que le dialogue est possible, même après des décennies de violence.

Si ce processus aboutit, il pourrait devenir un modèle pour d’autres conflits de la région. Il prouverait que la paix est possible même là où on ne l’attendait plus. Et que des peuples frères, après s’être tant déchirés, peuvent choisir de se tendre à nouveau la main.

Le chemin sera long. Il exigera des concessions des deux côtés. Mais pour la première fois depuis longtemps, la lumière semble apparaître au bout du tunnel. Et cette lumière porte un nom : la paix.

Un processus historique est en marche. Les Kurdes de Syrie tendent la main à la Turquie. Reste à savoir si Ankara saisira cette opportunité unique de tourner définitivement la page de la guerre.

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