Imaginez un instant : une explosion sourde déchire la nuit dans les montagnes du nord du Kosovo. Des tonnes de béton armé volent en éclats, et un canal stratégique, qui alimente en eau potable des centaines de milliers de personnes et fait tourner les centrales électriques du pays, se retrouve gravement endommagé. Nous sommes en novembre 2024, et ce qui aurait pu n’être qu’un « simple » acte de sabotage prend très vite une dimension explosive sur le plan politique.
Un canal vital devenu cible stratégique
Le canal Iber-Lepenc (ou Ibar-Lepenac en serbe) n’est pas une simple conduite d’eau. Long de plusieurs dizaines de kilomètres, il puise l’eau du lac Ujman (Gazivode pour les Serbes) pour la transporter vers le centre et le sud du Kosovo. Sans lui, pas d’eau potable pour de nombreuses villes, et surtout pas de refroidissement pour les deux grandes centrales thermiques qui produisent plus de 90 % de l’électricité du pays. Une infrastructure aussi sensible, c’est une cible rêvée quand on veut frapper fort sans forcément faire de victimes directes.
L’attaque a eu lieu dans la région de Zubin Potok, une zone majoritairement serbe où les tensions sont permanentes depuis des années. Vingt kilos de TNT placés à l’intérieur même du canal : l’opération était visiblement préparée de longue date et nécessitait une connaissance technique pointue.
Trois suspects inculpés, dont un officier serbe de haut rang
Ce mardi, le Parquet spécial du Kosovo a annoncé l’inculpation de trois personnes. Seules leurs initiales ont été rendues publiques, mais l’information la plus lourde concerne l’un d’eux : il s’agirait d’un colonel des services de renseignement militaires serbes. Une accusation extrêmement grave qui, si elle est prouvée, impliquerait directement Belgrade dans un acte qualifié de terroriste sur le sol kosovar.
Les deux autres suspects n’ont pas été détaillés, mais l’enquête affirme qu’ils ont agi « avec plusieurs autres personnes encore inconnues ». L’opération aurait été planifiée, les explosifs posés avec précision, et l’objectif clairement assumé : mettre à mal une infrastructure essentielle pour l’ensemble du Kosovo.
« La structure en béton du canal a été gravement endommagée »
Communiqué du Parquet spécial du Kosovo
Un contexte politique déjà incandescent
Pour comprendre l’ampleur de l’affaire, il faut remonter quelques mois en arrière. À l’automne 2024, le gouvernement d’Albin Kurti multipliait les opérations coup de poing dans le nord du pays. Objectif : démanteler les structures parallèles financées par la Serbie (banques, bureaux de poste, administrations municipales) qui fonctionnaient en marge des institutions kosovares.
Ces actions, perçues comme une provocation par Belgrade et par la population serbe locale, avaient déjà provoqué des manifestations, des barrages routiers et des incidents parfois violents. L’explosion du canal arrive donc dans un climat où chaque geste est interprété comme une déclaration de guerre.
Dès le lendemain de l’attaque, le Premier ministre kosovar n’avait pas mâché ses mots. Pour Albin Kurti, il ne faisait aucun doute que la responsabilité incombait à la Serbie. Belgrade, de son côté, rejetait catégoriquement toute implication et dénonçait une instrumentalisation politique.
Une enquête menée avec des partenaires européens
Ce qui rend cette affaire encore plus sérieuse, c’est le niveau de coopération internationale. Le Parquet kosovar a travaillé main dans la main avec des « partenaires européens » – probablement des services de plusieurs pays de l’Union – pour remonter la piste des suspects. Le fait qu’un officier serbe soit directement mis en cause laisse penser que des preuves solides (écoutes, géolocalisation, témoignages) ont été rassemblées.
Cette collaboration montre aussi que l’Europe, souvent critiquée pour son inaction dans les Balkans, suit l’affaire de très près. Une condamnation pour terrorisme impliquant un membre officiel des forces serbes aurait des répercussions diplomatiques majeures.
Quelles conséquences possibles ?
À court terme, le canal a été réparé en urgence. Mais les dégâts psychologiques et politiques, eux, sont bien plus longs à effacer. Cette inculpation risque de geler un peu plus les relations déjà glaciales entre Pristina et Belgrade. Le dialogue sous égide européenne, qui patine depuis des années, pourrait en prendre un nouveau coup.
Du côté serbe, on peut s’attendre à une vive réaction officielle, probablement un démenti formel et des accusations de partialité de la justice kosovare. Côté kosovar, l’affaire va renforcer le discours sécuritaire du gouvernement Kurti et justifier de nouvelles mesures dans le nord.
Enfin, pour la population locale – serbe comme albanaise – c’est une nouvelle preuve que la paix reste fragile. Quinze ans après l’indépendance, le Kosovo continue de vivre sous la menace d’une déstabilisation venue de l’extérieur… ou parfois de l’intérieur.
Un précédent qui fait froid dans le dos
Cette attaque n’est pas isolée. On se souvient des incidents à répétition dans le nord : prises d’assaut de commissariats, barrages, tirs à l’arme automatique. Mais viser une infrastructure aussi vitale, avec une charge explosive de cette ampleur, marque un palier supplémentaire dans l’escalade.
Si l’implication d’un colonel serbe est confirmée devant un tribunal, ce sera la première fois qu’un officier en activité est directement lié à une opération de ce type sur le sol kosovar depuis la fin de la guerre en 1999. Un tournant judiciaire et politique dont on n’a probablement pas fini d’entendre parler.
Pour l’instant, l’enquête se poursuit. D’autres noms pourraient tomber. Et la question que tout le monde se pose reste entière : jusqu’où ira cette spirale de tensions avant qu’un incident plus grave encore ne vienne mettre le feu aux poudres dans les Balkans ?









