Imaginez un instant : un égyptologue passionné, ayant foulé le sable brûlant des sites archéologiques du Caire, prend les rênes d’une organisation mondiale en quête de renouveau. Khaled El-Enany, ancien ministre égyptien, vient d’être désigné pour diriger l’Unesco, une institution au cœur des enjeux culturels et éducatifs mondiaux. Ce choix, loin d’être anodin, marque un tournant historique : pour la première fois, un représentant du monde arabe accède à ce poste prestigieux. Mais quels défis attendent cet homme de terrain, et comment compte-t-il redonner un élan à une organisation critiquée pour sa politisation ? Plongeons dans cette nomination qui promet de faire vibrer les couloirs de l’Unesco.
Un Profil d’Exception pour une Mission Colossale
Khaled El-Enany, 54 ans, n’est pas un inconnu dans le monde de la culture et du patrimoine. Égyptologue de formation, diplômé de l’université de Montpellier, il maîtrise parfaitement le français et incarne un pont entre les cultures. Son parcours, riche et varié, l’a vu évoluer du terrain poussiéreux des fouilles archéologiques à la direction du célèbre Musée égyptien du Caire, puis au poste de ministre des Antiquités et du Tourisme de l’Égypte. Cette expérience “sur le terrain”, comme il aime à le souligner, lui confère une vision pragmatique, essentielle pour une organisation souvent perçue comme trop théorique.
Son élection, avec un score écrasant de 55 voix sur 57 au sein du Conseil exécutif, témoigne de la confiance placée en lui. Cette désignation, qui sera officialisée le 6 novembre à Samarcande, en Ouzbékistan, fait de lui le deuxième Africain à occuper ce poste après le Sénégalais Amadou Mahtar Mbow. Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, n’a pas manqué de saluer cette nomination, souhaitant à El-Enany “le meilleur pour accomplir sa noble mission”.
Une Vision pour Moderniser l’Unesco
Face à une organisation accusée de politisation, Khaled El-Enany arrive avec des promesses claires : moderniser l’Unesco et la rendre plus impactante. Lors de son discours devant le Conseil exécutif, il a insisté sur la nécessité de travailler “main dans la main” avec les États membres pour élaborer une feuille de route ambitieuse. Son objectif ? Donner à l’Unesco une visibilité accrue et un rôle central dans les grands défis mondiaux, qu’il s’agisse de l’éducation, de la préservation du patrimoine ou de la science.
“Je veux dépolitiser le débat au sein de l’Unesco. Un enfant privé d’éducation, je ne veux pas savoir sa nationalité.”
Khaled El-Enany
Cette déclaration illustre son ambition de recentrer l’organisation sur ses missions fondamentales, loin des querelles géopolitiques. Mais cette tâche ne sera pas aisée. L’Unesco traverse une période tumultueuse, marquée par le retrait de plusieurs pays, dont les États-Unis, qui dénoncent un supposé parti pris anti-israélien et une orientation trop “idéologique”. Ce départ prive l’organisation de 8 % de son budget, un défi financier de taille pour le nouveau directeur.
Un Homme de Terrain aux Commandes
Ce qui distingue Khaled El-Enany, c’est son expérience concrète. Contrairement à son principal concurrent, le Congolais Firmin Edouard Matoko, fort de 35 ans de carrière au sein de l’Unesco, El-Enany mise sur un “regard neuf”. Sa carrière d’égyptologue, combinée à son passage à la tête du ministère égyptien des Antiquités, lui a permis de gérer des projets d’envergure dans un secteur clé de l’économie égyptienne. Sous sa houlette, le tourisme, pilier économique, a résisté à des crises majeures : attentats terroristes en 2017 et 2018, puis pandémie de Covid-19 en 2020.
- Création du Musée national de la civilisation égyptienne : Ce projet, lancé en 2021, abrite des trésors comme les momies royales, dont celle de Ramsès II.
- Gestion de crises : El-Enany a su maintenir l’attractivité touristique malgré des défis sécuritaires et sanitaires.
- Visibilité internationale : Ses initiatives ont redonné un éclat mondial au patrimoine égyptien.
Cependant, son mandat ministériel n’a pas été exempt de controverses. En 2020, des travaux d’urbanisation dans la nécropole historique du Caire, surnommée La Cité des morts, ont suscité la polémique. Ce site, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, a vu des tombes déplacées et des habitants expulsés, provoquant des critiques. El-Enany s’est défendu en affirmant que seules des “tombes contemporaines” avaient été touchées, sans destruction de monuments historiques.
Les Défis Financiers : Une Équation Délicate
L’un des enjeux majeurs pour Khaled El-Enany sera de stabiliser les finances de l’Unesco. Le retrait des États-Unis, annoncé en juillet sous l’administration Trump, représente une perte significative. Pour compenser, El-Enany mise sur une diversification des sources de financement. Il propose notamment d’augmenter les contributions volontaires des gouvernements et de solliciter davantage le secteur privé, comme les fondations et les entreprises.
Source de financement | Part du budget (2024) | Objectif d’El-Enany |
---|---|---|
Contributions des États membres | 92 % | Maintenir et renforcer |
Contributions volontaires (secteur privé) | 8 % | Augmenter significativement |
En 2024, les contributions privées représentaient seulement 8 % du budget. El-Enany voit dans ce faible pourcentage une opportunité : “Il y a de la marge pour les augmenter”, a-t-il déclaré. Cette stratégie pourrait permettre à l’Unesco de financer des projets ambitieux, notamment dans les zones de conflit où l’éducation et le patrimoine sont menacés.
Unesco et Conflits : Un Rôle à Redéfinir
Dans un monde marqué par des crises multiples, l’Unesco a un rôle crucial à jouer. Khaled El-Enany en est conscient et souhaite positionner l’organisation comme un acteur clé dans les zones de conflit. Que ce soit à Gaza, en Ukraine ou à Haïti, il évoque des défis pressants : écoles détruites, journalistes tués, sites culturels rayés de la carte. “Pour être efficace, il faut des budgets”, rappelle-t-il, soulignant l’importance d’une assise financière solide.
“L’Unesco peut jouer un rôle énorme dans les zones de conflit, pour protéger l’éducation et le patrimoine.”
Khaled El-Enany
Son ambition est claire : faire de l’Unesco une force de proposition, capable d’agir rapidement et efficacement. Mais pour y parvenir, il devra naviguer dans un contexte géopolitique complexe, où chaque décision peut être perçue comme un positionnement politique.
Un Pont vers les États-Unis ?
Le retour des États-Unis dans le giron de l’Unesco est l’un des défis les plus ambitieux d’El-Enany. En 2023, la directrice sortante, Audrey Azoulay, était parvenue à ramener Washington après un premier retrait décidé par Donald Trump en 2017. Mais ce retour fut de courte durée, l’administration actuelle ayant de nouveau claqué la porte. El-Enany, conscient de l’enjeu, promet de tout faire pour rétablir le dialogue. “Je veux dépolitiser le débat”, insiste-t-il, espérant convaincre par une approche neutre et universaliste.
Cette tâche s’annonce ardue. Les accusations de parti pris anti-israélien et de promotion de causes “clivantes” continuent de peser sur l’organisation. Pourtant, El-Enany reste optimiste, convaincu que l’Unesco peut redevenir un espace de coopération internationale.
Un Héritage à Construire
En prenant ses fonctions le 14 novembre, Khaled El-Enany hérite d’une institution à la croisée des chemins. Son parcours d’égyptologue, sa gestion de crises en Égypte et sa volonté de dépolitiser l’Unesco font de lui un profil unique. Mais les attentes sont immenses : redonner du prestige à l’organisation, stabiliser ses finances, et la positionner comme un acteur incontournable dans un monde en crise.
- Modernisation : Une feuille de route pour rendre l’Unesco plus agile et visible.
- Financement : Diversifier les ressources pour pallier les retraits de certains pays.
- Neutralité : Dépoussiérer l’image d’une organisation accusée de politisation.
Son expérience dans la gestion du patrimoine égyptien, combinée à sa vision globale, pourrait être un atout majeur. Mais le chemin est semé d’embûches : crises géopolitiques, contraintes budgétaires et attentes élevées des États membres. Une chose est sûre : sous la direction de Khaled El-Enany, l’Unesco s’apprête à écrire un nouveau chapitre de son histoire.
Et vous, pensez-vous que cet égyptologue parviendra à redonner ses lettres de noblesse à l’Unesco ? Une chose est certaine : les quatre prochaines années seront décisives.