Dans une salle vibrante de Nairobi, des silhouettes s’élancent sous des rythmes électroniques, défiant les normes d’une société conservatrice. Ces balls, des événements où la danse voguing célèbre l’identité queer, ne sont pas seulement des fêtes : ils incarnent une résistance audacieuse face à un projet de loi anti-LGBT+ qui menace la communauté au Kenya. Dans un pays où la liberté d’être soi-même est un combat quotidien, ces espaces sécurisés deviennent des refuges d’expression et d’espoir.
Une Culture Queer en Pleine Émergence
Depuis leur arrivée à Nairobi en 2022, les balls ont transformé la scène culturelle de la capitale kényane. Inspirée des années 1960 par les communautés gay et transgenres noires et latinos aux États-Unis, la pratique du voguing mêle des mouvements acrobatiques comme le duckwalk, le catwalk et la floor performance. Ces danses, à la fois théâtrales et libératrices, permettent aux participants d’affirmer leur identité dans un espace où la peur cède la place à la créativité.
Les tenues sont un élément central de ces événements. Certains portent des créations ornées d’éléments dorés, symbolisant l’éclat de la liberté. Un créateur queer, drapé dans une longue cape, partage un message puissant : “Sois libre, sois toi-même. La société te rattrapera.” Mais derrière cette célébration, la prudence reste de mise. Pour des raisons de sécurité, les identités des participants restent souvent anonymes, et les lieux des balls sont soigneusement choisis pour leur confidentialité.
“Sois libre, sois toi-même. La société te rattrapera.”
Un créateur queer à Nairobi
Un Contexte Social Contrasté
Le Kenya, majoritairement chrétien et conservateur, reste un terrain hostile pour la communauté LGBT+, particulièrement en dehors de Nairobi. Une participante de 25 ans, surnommée Kat, illustre ce paradoxe. Vêtue d’une jupe à fleurs et d’un voile en crochet, elle confie à quel point il est difficile de devoir “prétendre être quelqu’un d’autre” une fois la nuit terminée. Pourtant, à Nairobi, une certaine tolérance semblait émerger ces dernières années, offrant un espoir fragile à la communauté queer.
Cet espoir est aujourd’hui menacé par un projet de loi déposé en 2023, intitulé “protection de la famille”. Ce texte, qui pourrait être examiné prochainement, prévoit des peines allant jusqu’à 30 ans de prison pour les relations homosexuelles et encourage la délation. Pour beaucoup, ce projet représente une menace directe à leur existence même, jetant une ombre sur les progrès réalisés dans la capitale.
Une Vague Conservatrice en Expansion
Le conservatisme au Kenya ne se limite pas à des initiatives locales. Une conférence panafricaine sur les valeurs familiales, organisée à Nairobi, a réuni des groupes évangéliques défendant des valeurs dites “traditionnelles”. Parmi les intervenants, des voix ultra-conservatrices, y compris des figures internationales, ont dénoncé ce qu’ils appellent la “perversion LGBT+”. Ces discours, souvent soutenus par des financements étrangers, amplifient la rhétorique anti-LGBT+ dans la région.
Une enquête révèle que des groupes de la droite chrétienne, notamment américains, ont investi des centaines de millions de dollars à l’international entre 2008 et 2020 pour promouvoir des agendas conservateurs. Ces financements ont joué un rôle clé dans des législations répressives, comme la loi anti-homosexualité adoptée en 2023 en Ouganda, un texte parmi les plus sévères au monde. Au Kenya, bien que les relations homosexuelles soient déjà passibles de 14 ans de prison en vertu d’une loi coloniale, les peines sont rarement appliquées. Mais le nouveau projet de loi pourrait changer la donne.
Pays | Législation | Peine maximale |
---|---|---|
Kenya | Loi coloniale (actuelle) | 14 ans de prison |
Kenya | Projet de loi 2023 | 30 ans de prison |
Ouganda | Loi anti-homosexualité 2023 | Peine capitale |
Des Espaces de Résistance et de Spiritualité
Face à cette montée conservatrice, des initiatives courageuses émergent. À Nairobi, une salle de réunion se transforme chaque dimanche après-midi en un espace de culte queer. Orné de banderoles arc-en-ciel, ce lieu accueille des fidèles de toutes confessions, offrant un refuge où la sexualité n’est pas un tabou. La pasteure non-binaire Caroline Omolo, âgée de 48 ans, dirige ces services avec une vision inclusive : ici, Dieu est désigné par le pronom “elle”, et les fidèles sont encouragés à embrasser leur identité.
“Les gens sont allés dans des espaces qui les ont rejetés très durement. Ici, ils peuvent s’exprimer pleinement, avec tout leur côté queer.”
Caroline Omolo, pasteure non-binaire
Ce lieu, créé il y a plus de dix ans, attire désormais des dizaines de personnes chaque semaine. Les sermons proposent une relecture de textes religieux, comme un verset de l’Évangile selon Marc qui célèbre l’inclusion : “Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère.” Pour un fidèle de 25 ans, cet espace a transformé sa perception de la spiritualité : “Je croyais que Dieu m’avait fait queer pour m’emmener en enfer. Les prêcheurs ici ont changé ma perspective.”
Un Combat pour la Reconnaissance
La lutte pour les droits LGBT+ au Kenya ne date pas d’aujourd’hui. En 2019, des membres de la communauté queer ont prié pour une décriminalisation de l’homosexualité devant la Cour suprême, sans succès. Aujourd’hui, face au projet de loi de 2023, la communauté s’organise. Des organisations comme Galck+ dénoncent les financements étrangers qui alimentent les discours anti-LGBT+. Ivy Werimba, chargée de plaidoyer pour cette organisation, souligne l’impact de ces fonds : “Leur message va loin parce qu’il est bien financé.”
Pourtant, l’optimisme persiste. Caroline Omolo, la pasteure, croit en un avenir où l’identité queer sera reconnue avec dignité. “Nous voulons un monde qui voit notre valeur”, affirme-t-elle. Cette vision est partagée par les participants des balls, qui, à travers la danse et l’expression artistique, revendiquent leur place dans une société qui cherche à les marginaliser.
Pourquoi Ce Combat Compte
Le combat de la communauté queer à Nairobi dépasse les frontières du Kenya. Il reflète une lutte globale pour les droits humains, où la liberté d’aimer et d’exister sans peur est en jeu. Les balls, les services religieux inclusifs et les actions de plaidoyer montrent que, même face à l’adversité, la résilience et la créativité peuvent ouvrir des voies vers le changement.
Voici pourquoi ce mouvement est essentiel :
- Expression identitaire : Les balls offrent un espace pour célébrer l’individualité sans crainte.
- Résistance culturelle : Le voguing devient un acte politique, défiant les normes oppressives.
- Solidarité communautaire : Les espaces comme le culte queer renforcent les liens et la résilience.
- Plaidoyer global : La lutte kényane s’inscrit dans un mouvement mondial pour les droits LGBT+.
Alors que le projet de loi plane comme une menace, la communauté queer de Nairobi continue de danser, de prier et de se battre. Leur message est clair : la liberté d’être soi-même ne peut être étouffée. Dans une société en pleine mutation, leur courage pourrait bien redessiner l’avenir du Kenya.