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Kenya : La Répression Numérique des Voix Dissidentes

En 2025, le Kenya muselle ses opposants via des campagnes en ligne. De Rose Njeri à Boniface Mwangi, découvrez comment la désinformation cible les militants...

Imaginez créer une application pour défendre la démocratie et vous retrouver en prison, votre nom traîné dans la boue par une vague de désinformation en ligne. C’est l’histoire de Rose Njeri, une développeuse kényane de 35 ans, arrêtée pour avoir osé critiquer un projet de loi controversé. Au Kenya, en 2025, la répression des voix dissidentes ne se limite plus aux rues : elle s’étend au numérique, où hashtags et campagnes orchestrées deviennent des armes redoutables. Cet article explore comment le gouvernement kényan, sous la présidence de William Ruto, utilise le web pour museler ses opposants, tout en plongeant dans les récits poignants de ceux qui résistent.

Quand le Numérique Devient une Arme

Le Kenya, souvent salué comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Est, traverse une période troublée. En 2024, des manifestations historiques ont secoué le pays, culminant avec l’invasion du Parlement le 25 juin. Ces mouvements, portés par une jeunesse connectée, ont révélé un mécontentement profond face à la politique du président William Ruto. Mais en 2025, la réponse du gouvernement s’est déplacée en ligne, où une guerre numérique fait rage. Des militants comme Rose Njeri, arrêtée pour son application critique du projet de loi de finances 2025, deviennent des cibles privilégiées.

Rose, mère de deux enfants, a passé quatre jours en cellule, accusée à tort d’être une pirate informatique formée à l’étranger. Son histoire illustre une stratégie plus large : associer la répression physique à des campagnes de désinformation coordonnée pour discréditer les opposants. Les réseaux sociaux, autrefois espace de liberté, sont devenus un champ de bataille où hashtags manipulés et accusations conspirationnistes prolifèrent.

Hashtags Toxiques : Une Stratégie de Diffamation

Les hashtags sont devenus des outils de choix pour façonner l’opinion publique. En 2025, des campagnes comme #AsanteSamia ou #DogsOfWar ont inondé les réseaux sociaux, ciblant des figures comme Rose Njeri ou Boniface Mwangi, un militant connu pour son opposition au gouvernement. Ces hashtags, qui cumulent des millions de vues, ne sont pas spontanés. Selon Moffin Njoroge, expert chez Code for Africa, ils révèlent une amplification coordonnée, avec des publications simultanées provenant de comptes parfois automatisés.

« Il existe des preuves d’une amplification coordonnée, avec des publications publiées à quelques secondes d’intervalle. »

Moffin Njoroge, Code for Africa

Par exemple, des comptes comme @essy_2128 ou @tonymkenya7 ont posté des centaines de messages en une journée sous #AsanteSamia, accusant les militants d’être des « marionnettes » financées par des puissances étrangères comme George Soros. Ces accusations, souvent infondées, s’appuient sur des récits conspirationnistes pour détourner l’attention des véritables enjeux, comme les violences policières ou les dérives autoritaires.

Un seul compte peut publier plus de 100 messages sous un hashtag en une journée, un signe clair de comportement automatisé.

Des Militants dans la Tourmente

Boniface Mwangi, figure emblématique de la dissidence kényane, a lui aussi payé le prix de son engagement. En 2025, il disparaît brièvement en Tanzanie, où il soutenait un leader de l’opposition. À son retour, il dénonce des actes de torture et des violences sexuelles infligés par les forces de sécurité. Pendant ce temps, les réseaux sociaux s’enflamment avec des campagnes comme #DogsOfWar, l’accusant d’être un agent étranger. Ces récits, amplifiés par des vidéos falsifiées imitant des médias comme CNN, visent à détruire sa crédibilité.

Ces attaques ne sont pas isolées. En avril 2024, après un documentaire sur les violences policières, des hashtags comme #BBCForChaos (5,3 millions de vues) et #ToxicActivists ont cherché à discréditer les militants. À l’approche de l’anniversaire des manifestations de juin 2024, d’autres campagnes, comme #PaidActivism, ont continué à semer le doute sur la légitimité des opposants.

L’IA, Nouvelle Arme de la Désinformation

Si les campagnes de désinformation au Kenya utilisaient autrefois des montages grossiers, elles exploitent désormais l’intelligence artificielle. Des vidéos falsifiées, comme une imitation de CNN accusant des militants d’être « financés par l’étranger », circulent sur les réseaux. Ces outils sophistiqués rendent les mensonges plus convaincants, brouillant la frontière entre vérité et fiction.

Pour Alphonce Shiundu, rédacteur en chef d’Africa Check, ces campagnes sont liées à l’État. « La rhétorique politique, les déclarations officielles et les discussions en ligne convergent toujours », explique-t-il. Cette stratégie coïncide avec des discours officiels dénonçant des « tentatives de coup d’État » ou des inculpations pour terrorisme contre des manifestants.

« La désinformation est conçue pour discréditer les défenseurs des droits humains et détourner l’attention des préoccupations qu’ils soulèvent. »

Irungu Houghton, Amnesty International Kenya

Une Répression aux Conséquences Tragiques

Les manifestations de juin et juillet 2024 ont été marquées par une violence sans précédent, avec au moins 65 morts selon les autorités. Le président Ruto a choqué en appelant à tirer « une balle dans la jambe » des pillards, un discours perçu comme une justification de la répression. En ligne, les militants sont accusés d’être des « menaces à l’intérêt national », facilitant leur ciblage par les forces de l’ordre.

Ces tactiques ne sont pas nouvelles. Comme le note Irungu Houghton d’Amnesty International Kenya, elles relèvent du « plus vieux stratagème des régimes autoritaires ». En qualifiant les militants de « payés » ou de « traîtres », le gouvernement justifie leur répression tout en détournant l’attention des abus de pouvoir.

Hashtag Vues estimées Cible
#AsanteSamia 1,5 million Boniface Mwangi, Rose Njeri
#BBCForChaos 5,3 millions Militants des droits humains
#ToxicActivists 365 000 Boniface Mwangi

Vers un Avenir Incertain

À l’approche des élections de 2027, les experts s’attendent à une intensification des campagnes numériques progouvernementales. Moffin Njoroge prédit une multiplication des attaques contre les opposants politiques et les militants. Cette stratégie, combinée à la répression physique, menace la liberté d’expression et la démocratie au Kenya.

Pourtant, des voix comme celle de Rose Njeri refusent de se taire. « De quoi ont-ils si peur ? », s’interroge-t-elle. Déterminée, elle promet de continuer son combat pour un Kenya libéré de ce qu’elle appelle un « système tyrannique ». Son courage, comme celui de Boniface Mwangi, incarne l’espoir d’une résistance face à l’oppression numérique et physique.

Résumé des enjeux :

  • Campagnes de désinformation ciblant les militants via des hashtags.
  • Utilisation de l’IA pour créer des contenus falsifiés plus convaincants.
  • Répression physique et numérique pour museler la dissidence.
  • Risque d’escalade à l’approche des élections de 2027.

Le Kenya se trouve à un tournant. La montée de la répression numérique soulève des questions cruciales sur l’avenir de la démocratie dans le pays. Alors que les militants continuent de se battre, le monde observe : le numérique deviendra-t-il un outil de liberté ou une arme d’oppression ? L’histoire de Rose Njeri et de ses pairs nous rappelle que, même face à l’adversité, la résistance persiste.

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